L’exposition à la Cathédrale de Gap de la Pieta de l’artiste Paul Fryer pendant la Semaine sainte a été une source de questionnements et de prises de positions plus ou moins tranchées.
Le Christ, couronné d’épines et marqué des signes de la Crucifixion, laisse reposer ses bras de chaque côté des accoudoirs de la chaise électrique, la tête penchée, mort. L’image est saisissante dans l’écrasement des deux techniques de mise à mort tout autant que dans l’aplatissement du temps. Est-elle scandaleuse ?
Cet artiste reconnu, travaillant à Londres, présenté
à Paris chez Jean-Gabriel Mitterand dans l’exposition Young and British en 2006, n’en est pas à sa première mise en scène macabre. On se souvient de l’exposition In Loving
Memory, à la Guido Costa Projects Galerie à Turin, il y a un an, représentant le Martyre de John Feeks, employé de la fin du XIXe siècle pour tirer les fils électriques à
New York, dont le corps, accidentellement électrocuté, était resté suspendu aux lignes, livré aux regards horrifiés des passants pendant plusieurs heures. Présenté de la même manière aux
visiteurs de l’exposition, l’œuvre permettait de faire mémoire de ce drame emblématique de la « révolution électrique » devenue pour eux naturelle, en les replaçant dans l’événement
même.
Exposer le Christ en Croix de la même manière, aurait-il eu le même effet ? L’image de la Crucifixion est devenue pour nous occidentaux une banalité. Nous en avons vues tellement, de tous les siècles et de tous les styles, que notre regard n’aurait sûrement pas été interpellé et gêné de la même manière que pour le corps électrocuté de John Feeks. Je me souviens même avoir été étonné, lors d’une exposition au MAC’s du Grand Hornu (Belgique), de la réaction d’un groupe de chinois devant un simple bras tendu de Mapplethorpe (qui rappelait les bras du Christ crucifié). Pour eux, étrangers à notre iconographie, cette image était éminemment violente.
Cette violence est bien présente dans la Pieta de Paul Fryer. Non pas à cause de la chaise électrique que les séries d’Andy Warhol ont également dédramatisée, mais justement par l’association de la figure d’un Christ déposé de la Croix et d’une chaise électrique « au naturel » (et pas vraiment high-tech) sans esthétisme distanciateur ; par l’accolement du symbole du juste qui a souffert et a été mis à mort et de celui de la peine de mort contemporaine. L’actualisation de la scène est alors d’autant plus violente qu’elle nous oblige à nous poser de manière simultanée la question du Fils de Dieu mort pour notre Salut et celle de la peine de mort, elle-même.
Jésus comme John ont l’air paisible dans leur tenue d’Adam. Pourtant, victimes innocentes de notre Salut ou de notre bien être technologique, ils nous crient avec violence non pas notre culpabilité mais notre devoir de mémoire, de réflexion et d’appropriation. Ils ne nous crient pas, comme le visage de l’Autre chez Emmanuel Levinas, « Ne me tues pas » ; ils sont déjà morts. Mais, ils nous forcent à choisir entre détourner le regard ou affronter l’image de la mort, l’affronter pour qu’elle ne soit pas vaine et que notre conscience et notre vie la transfigurent.
La Résurrection du Christ nous permet d’être sûre que cela est possible, les œuvres d’art, comme celles de Paul Fryer, peuvent nous y donner accès. Merci à Mgr Jean-Michel di Falco de nous avoir donner l’occasion de méditer sur ce sujet. Si scandale il y a, il ne réside pas dans l’œuvre qui relaie le cri du Christ à notre égard, mais bien dans la réponse que nous pourrions donner.