« Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un pécheur. » ». La question de ceux qui
méritent le salut et de ceux qui ne le méritent pas traverse les évangiles. Dans l’histoire de Zachée, le chef des collecteurs d’impôts, elle est présente et fait scandale. Jésus y répond à sa
manière en entrant avec joie dans la demeure de Zachée et en déclarant « Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham.
En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
La célèbre fresque de l’entrée de Jésus dans Jérusalem par Giotto développe cette réponse d’une manière remarquable.
Dès les premiers siècles, les sculpteurs télescopent la scène de l’entrée dans Jericho et celle de l’entrée dans Jérusalem. La similitude formelle, un arbre et les portes d’une ville, en est sûrement à l’origine. La présence, dans un récit apocryphe, de Zachée dans la foule montée dans les arbres pour accueillir Jésus dans Jérusalem, peut-être également. Il n’est donc pas rare de trouver dans les icônes ou les peintures un homme ou des hommes dans les palmiers de la scène de Jérusalem. Parfois la solitude de l’homme, comme pou cette icône, nous fait penser à Zachée, parfois au contraire, leur nombre, comme chez Duccio, à la cueillette des palmes qui serviront à acclamer le Seigneur.
Mais Giotto va bien plus loin à mon sens. Il distingue deux arbres. Dans le premier sur la gauche, un homme est peint de dos. Dans le second sur la droite, il est peint de face et regarde Jésus. Dans cette scène aucun des deux personnages n’est lié à une quelconque cueillette des palmes. Au contraire, les deux sont dans un espace bien défini du tableau, l’arrière plan, comme séparés de la scène principale. Un espace entre terre et ciel, celui de l’intimité du choix. A droite et à gauche, ils encadrent le Christ qui va rentrer dans Jérusalem et bénit la foule.
S’il est évident que le personnage de droite fait référence à Zachée, il me paraît également très vraisemblable que l’ensemble des deux personnages préfigure les deux larrons encadrant le Christ crucifié, l’homme de droite étant tout autant Zachée que le bon larron. Et l’image est d’autant plus savoureuse que le Golgotha est, comme les scènes de Jericho et de Jérusalem, l’entrée du Christ dans une ville, la Jérusalem céleste. Cette œuvre de Giotto fait alors résonner en nous le parallèle entre la phrase de Jésus à Zachée « Aujourd’hui, le Salut est arrivé pour cette maison » et celle de Jésus au bon larron « Amen, je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Elle nous permet de répondre à la question posée par les récriminations des détracteurs de Jésus. La division entre les hommes ne se fait pas entre purs et impurs, entre ceux qui méritent d’être visités par le Christ et ceux qui ne le méritent pas. Nous sommes tous pécheurs, à l’image de Zachée et des deux larrons crucifiés de chaque côté de Jésus. Et si division il doit y avoir, elle se fait entre ceux qui le regardent et l’accueillent et ceux qui lui tournent le dos.