Voilà un drôle de découpage de l’Evangile. En introduction au passage de Jean annoncé (Jn 10, 27-30), on a rajouté une phrase reprenant l’affirmation de Jésus « Moi, je suis le bon pasteur. » (Jn 10,11) encadré d’explications narratives « Jésus avait dit au juif » et « il leur dit encore ». Pour ma part j’aurais préféré, comme c’est un texte particulièrement court, qu’on nous cite la question des juifs à laquelle Jésus répond : « Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en haleine ? Si tu es le Christ, dis le nous ouvertement. » (Jn 10, 24) et la réaction de ses interlocuteurs « Les juifs apportèrent de nouveau des pierres pour le lapider. » (Jn 10, 31).
Parce que la question du « bon pasteur », en effet, c’est la question du « Christ » et de l’accomplissement de la promesse faite par Yahvé à son peuple, à son troupeau. Dans les liturgies des dimanches de Pâques on ne lit pas de textes de l’Ancien Testament. Il faut pourtant pour bien comprendre la question des juifs et l’annonce de Jésus avoir en tête, au minimum, les prophéties d’Isaïe (49, 9-10) et d’Ezechiel (34, 11-31).
« Ils paîtront le long des chemins sur tous les monts chauves ils auront un pâturage. Ils n’auront plus faim ni soif, ils ne souffriront plus du vent brûlant ni du soleil, car celui qui les prend en pitié les conduira, il les mènera vers les eaux jaillissantes. » (Is 49, 9-10).
« Car ainsi parle le Seigneur Yahvé : Voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau et je m’en occuperai. […]Je susciterai pour le mettre à leur tête un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David : c’est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur. [...] Et vous mes brebis, vous êtes le troupeau humain que je fais paître, et moi je suis votre Dieu, oracle du Seigneur Yahvé. » (Ez 34, 11.23.31)
La réponse de Jésus est très claire. Il est le bon pasteur. Il est le Christ. Il est Dieu qui vient prendre soin de son troupeau. « Le Père et moi nous sommes UN. » (Jn 10, 30). On comprend alors pourquoi les juifs qui refusent de reconnaître en Jésus le Fils de Dieu voient dans cette réponse un blasphème et cherchent à le lapider.
Car le problème est bien celui de la reconnaissance. Cette reconnaissance à laquelle Jésus nous appelle à travers l’Evangile en nous posant la question « Et pour vous qui suis-je ? ». Nous reconnaissons dans les paroles de Jésus celui qui nous connaît. Et c’est parce que nous acceptons de rentrer par le Christ dans ce lien d’amour qui unit le Père et le Fils que nous obtenons la vie éternelle qui nous est offerte. « Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. » (Jn 10, 27-30).
Jésus est le bon pasteur et l’agneau qui s’offre par amour pour que plongés par le baptême dans sa mort et sa résurrection nous soyons avec lui toujours vivant. « Ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l'Agneau. » (Ap 7, 17). Peut-être est-il fait ici plus particulièrement référence aux martyrs de la foi ? Mais finalement il s’agit bien toujours d’une reconnaissance active, du témoignage que Jésus est bien le Christ qui dans sa mort et sa résurrection nous a ouvert largement les portes de la vie éternelle.
Et cette vie éternelle est offerte à tous les hommes et à toutes les femmes comme le souligne le passage des actes que nous entendons. « C'est à vous d'abord qu'il fallait adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! Nous nous tournons vers les païens. C'est le commandement que le Seigneur nous a donné : J'ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre. » (Ac 13, 46-47)
Un passage qui engage toute l’Eglise et chacun d’entre nous, comme récepteur de la parole de Dieu et comme témoin.
Un passage qui une nouvelle fois nous pose à nous comme aux juifs de Paul et Barnabé la question de la reconnaissance. Sommes nous toujours à l’écoute de la Parole de Dieu, cette parole qui nous lie au Christ, nous fait rentrer dans la communion avec le Père, nous rend digne de la vie éternelle ?
Un passage qui nous questionne sur notre rôle de témoin de cette parole. Sommes nous toujours sur les chemins du monde pour faire entendre cette parole et permettre à tous les hommes et toutes les femmes de reconnaître Celui qui les connaît ?
Les interlocuteurs juifs, peut-être trop certains de détenir Dieu, n’ont pas su entendre la Parole. L’Eglise, comme chacun d’entre nous, a toujours à se méfier d’être atteinte de cette même surdité du coeur.
Car nous ne sommes propriétaires de rien d’autre que de la reconnaissance que nous pouvons avoir en Celui qui est pour nous le bon pasteur.