L’épisode de la femme adultère est peut-être l’un des passages les plus connus de l’Evangile de Jean. Aussi connu que sa blague dérivée où Marie, qui n’a jamais péché, jette une pierre sur la pauvre femme au grand dam de son fils. Si les exégètes se questionnent sur l’inclusion de cette péricope dans l’Evangile de Jean, une chose est certaine c’est qu’elle est placée au cœur du passage de cet évangile où entre Jésus et les défenseurs de la Loi et de la religion rien ne va plus ; au cœur du passage de cet évangile où la mort de Jésus se programme, où la tension est telle qu’à chaque instant c’est lui qui risque la lapidation.
Ils sont tous partis les vociférants, les tenants d’une application stricte de la Loi (qui, soit dit en passant, n’ont pas amené à Jésus l’homme adultère qu’ils ont dû surprendre avec la femme), ces récriminants qui se considéraient comme des justes et qui ont reconnu qu’eux aussi étaient des hommes et des femmes pécheurs. Ils sont tous partis et ont laissé cette femme, soumise à l’opprobre public, seule avec Jésus. Entre la reconnaissance de sa faute et la compassion il y a visiblement une marche difficile à monter.
Pourtant, cette Loi, ils le savent, le peuple de Dieu n’a cessé de la transgresser. Et toujours Dieu est revenu à eux par amour, pour les remettre sur le chemin de l’Alliance. Dieu qui non seulement pardonne mais dit à son peuple : « Ne vous souvenez plus d’autrefois, ne songez plus au passé. Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez vous pas ? » (Is 43, 18-19). Pas de condamnation définitive dans le plan de Dieu, mais une restauration de l’Alliance, une remise en marche de son peuple afin que se réalise son souhait « Ce peuple que j’ai formé pour moi dira ma louange » (Is 43, 21).
Comme il est triste de constater aujourd’hui encore que nous sommes tentés d’être comme ces faiseurs de l’Evangile, qu’au nom de la sainteté de l’Eglise nous soyons prêts, comme Marie dans la blague, à jeter la première pierre. Comme il est triste de constater, quand nous acceptons de ne pas jeter la pierre, de nous voir laisser les personnes dont nous condamnons la conduite seule avec Jésus, alors que nous devrions avoir les mêmes paroles que lui « Moi non plus je ne te condamne pas, va et désormais ne pèche plus ». Comme il est triste d’en arriver à se demander par moment si nous ne serions pas tentés finalement de lapider Jésus lui-même, cet homme qui se permet de mettre l’amour de Dieu et l’amour de l’homme au dessus de la Loi, ce Dieu qui se permet de transgresser la Loi.
Quand arriverons-nous à briser les liens qui nous empêchent d’être pleinement en communion avec Dieu, de vivre de cet amour surabondant que l’accueil du pécheur ne peut que renforcer ? Quand cesserons nous de condamner pour bénir ? Quand cesserons nous d’exclure nos contemporains pour les accueillir et les remettre en marche vers un Dieu qui appelle toutes les femmes et tous les hommes ? Quand entendrons nous cette affirmation de la première lettre de Saint Jean (4,20) « Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? »
Quelques versets plus tard, dans l’Evangile de Jean, Jésus déclare : « Oui, moi, je me rends témoignage à moi-même, et pourtant c'est un vrai témoignage, car je sais d'où je suis venu, et où je m'en vais ; mais vous, vous ne savez ni d'où je viens, ni où je m'en vais. Vous, vous jugez de façon purement humaine. Moi, je ne juge personne. Et, s'il m'arrive de juger, mon jugement est vrai parce que je ne suis pas seul : j'ai avec moi le Père, qui m'a envoyé. » (8, 14-16)
Ne soyons pas plus présomptueux que saint Paul ! Nous n’avons pas encore atteint cette pleine communion avec Dieu qui nous permettra de juger dans la Vérité. Alors reprenons, comme lui, notre course en essayant d’être le plus nombreux possible à arriver à son terme : « Certes, je ne suis pas encore arrivé, je ne suis pas encore au bout, mais je poursuis ma course pour saisir tout cela, comme j'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, je ne pense pas l'avoir déjà saisi. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant, je cours vers le but pour remporter le prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. Nous tous qui sommes adultes dans la foi, nous devons tendre dans cette direction ; et, si vous tendez dans une autre direction, Dieu vous révélera le vrai but. » (Ph 3, 12-15)