Le dimanche des Rameaux et de la Passion, c’est le dimanche de la foule. Une foule qui acclame, une foule qui conspue. La foule en générale, mais aussi la petite foule des disciples qui abandonne Jésus et s’enfuit après l’avoir assuré, avec Pierre, que même s’il elle devait mourir avec lui, elle ne le renierait pas.
Le dimanche des Rameaux et de la Passion, c’est le dimanche où nous est reposé une dernière fois cette question qui traverse l’Evangile et à laquelle nous avons tant de mal à nous arrêter pour y répondre : « Qui est cet homme ? » Comme la foule, sans réfléchir, nous lançons « c’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée », « c’est le fils de David qui vient au nom du Seigneur », « c’est le Messie »… « c’est le fils de Dieu »… Mais si toutes ces réponses sont sûrement parfaitement justes répondent-elles à la question que Jésus lui-même n’a cessé de poser : « Et pour vous qui suis-je ? »
Finalement, pour les chefs des juifs qui le condamnent, la réponse est simple : « un perturbateur » qui les empêche de faire tourner correctement leur boutique religieuse. Pour Pilate, « un problème politique » qui lui impose d’être injuste pour éviter une crise dans le pays dont il est responsable. La foule, elle, n’a pas répondu à cette question en vérité et peut donc, sans problème, varier de l’ovation du Messie à la haine du blasphémateur.
Et pour les disciples de l’Evangile qui est-il ? Leur réaction nous montre à l’évidence que la réponse est moins simple qu’il n’y paraît et qu’elle ne peut en aucun cas se résumer à une réponse théorique. Pour les disciples de l’évangile, Jésus est certainement tout autant un ami qu’un rabbi. Des liens de proximité et des liens de déférence se mêlent à la compréhension de ce qu’il a essayé de leur enseigner sur qui il était. Comme pour la foule des rameaux, le souhait ardent de voir en Jésus un messie venu sauver le peuple d’Israël de ses oppresseurs devait rester ancré au fond d’eux. Et pourtant la passion va nous montrer la collusion des oppressés et des oppresseurs contre celui qui semblait incarner cette figure messianique. La figure de Jésus guérisseur, du Jésus des miracles, devait également être très importante pour eux et nourrir leur compréhension d’un lien direct entre Jésus et Dieu. Mais, comme nous l’avons entendu dimanche dernier dans la résurrection de Lazare, cette figure occulte finalement la compréhension de Jésus comme source de la vie. Or c’est bien là que se joue la compréhension de qui est Jésus.
Car évidemment, si nous ne croyons pas que Jésus est la vie, toutes les autres figures que nous lui attribuons sont mises à mal par son arrestation, son procès par les chefs des juifs et par Pilate et bien évidemment par sa mise à mort. Le messie humilié est un imposteur, le guérisseur mort ne sert plus à rien. Seule la tristesse d’avoir perdu un ami reste. Il est donc presque logique que les disciples de l’Evangile, en dehors du fait que leur faiblesse a laissé Jésus seul à Gethsémani et que leur « instinct de survie » ou leur peur les ont empêché de le défendre, se soient dispersés près son arrestation. C’est à la lumière de la Résurrection, une lumière qui sera loin d’être évidente, que les disciples pourront répondre réellement à la question en se remémorant les enseignements de leur maître.
Mais pour nous qui est-il ?
Contrairement aux disciples de l’Evangile nous ne vivons pas la passion de Jésus en direct. Nous la vivons à travers leurs témoignages illuminés de l’événement de la Résurrection, les évangiles, la tradition vivante d’une Eglise multiséculaire. Pourtant dans le flot de sens qui est mis à notre disposition, si nous ne voulons pas rester anonyme dans une foule versatile, nous devons à notre tour écouter Jésus nous poser sa question et y répondre. Et, pour moi, qui est cet homme ? Est-il la vie ? Est-ce que comme les disciples, je chemine avec lui ? Avec lui et non seulement avec la foule des chrétiens ? Est-ce que, comme baptisé, je me sens responsable de lui, responsable de sa Parole, responsable du Salut qu’il offre, responsable de sa vie ? De sa vie et non seulement des « valeurs » que défend mon Eglise ?
L’Eglise ne peut pas être une foule d’anonymes car Dieu appelle chaque homme et chaque femme par son nom. Elle doit être une somme d’individualités, appelées par Jésus et ayant répondu à Jésus. Une somme d’individualités responsables en leur propre nom, au nom de leur baptême, capables de témoigner devant les tribunaux, religieux comme civils, devant l’injustice et la mort, que Jésus est la vie donnée en abondance. En ce dimanche des rameaux et de la passion, la question « Qui est cet homme ? » est primordiale, elle est posée personnellement à chacun d’entre nous afin que nous constituions un peuple de témoins responsables et non une foule dont les membres se reposeraient sur la responsabilité du groupe.