Les mages de Matthieu, attirés par l’étoile, signe de Dieu, appel de Dieu, viennent se prosterner aux pieds de Jésus. La longue méditation de l’Eglise sur ces trois mages a fini par en faire trois rois, c'est-à-dire trois incarnations des peuples, trois hommes de trois couleurs, c’est-à-dire une représentation de tous les peuples, trois hommes d’âges différents, c'est-à-dire toute l’humanité. Tous les hommes (et toutes les femmes bien évidemment) sont appelés à se mettre à la suite de ce signe donné par Dieu pour venir adorer l’enfant Jésus.
Une des plus belles représentations de l’Epiphanie, je crois que nous la devons à Léonard de Vinci. C’est un tableau inachevé conservé aux Offices à Florence. Le fait même qu’il soit inachevé, même si cela n’est sûrement pas volontaire, est pour moi une annonce que l’Epiphanie n’est pas un moment passé mais l’appel toujours ardent de Dieu à tous les hommes de se mettre à la suite des mages.
Dans ce tableau, le premier plan est une composition étourdissante de vie et de mouvement. Les mages, des hommes, des femmes, des anges, des bergers, des chevaux se pressent autour de l’enfant porté par sa mère. Le second plan est divisé en deux. A gauche, une très belle architecture composée essentiellement de deux escaliers est parsemée de figures humaines, assises, debout, à cheval. C’est un modèle de perspective géométrique. A droite, dans la nature, deux cavaliers s’affrontent.
Pour Léonard, ce qui compte c’est le mouvement de la vie représenté ici au premier plan. Ce tourbillon de vie centré sur l’enfant Jésus présenté au monde. Les constructions idéologiques, incarnées en peinture par l’art de la perspective géométrique, ne l’intéressent pas. Il maîtrise à la perfection cet art mais celui-ci s’estompera petit à petit au cour de sa carrière pour laisser place à ce qu’il considère comme l’image de la vie : le mouvement.
J’aime ce tableau car il remet les choses à leur juste place : la vie centrée sur le Christ au premier plan, une vie pleine de mouvement et de désordre ; nos constructions idéologiques, nos désirs d’ordre et de pureté (l’architecture de gauche) et nos divisions (l’affrontement des cavaliers) au second plan. Souvent, et souvent avec le désir de bien faire, nous inversons ces deux plans. Nous nous préoccupons plus de vouloir construire un monde parfait, une Eglise parfaite, que de nous émerveiller en contemplant la vie qui loue Dieu dans des tressaillements, désordonnés peut-être, mais spontanés. Nous nous préoccupons plus de nos querelles de clochers que du Christ lui-même présent au milieu des hommes.
En cette fête de l’Epiphanie qui tombe au moment des vœux, je nous souhaite d’être des étoiles qui brillent pour attirer les hommes et les femmes de notre temps aux pieds du Christ, des étoiles aux yeux rivés sur la vie tourbillonnant autour du Christ, des étoiles qui se souviennent de cette parole du Christ (Jn 6, 44) : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire. »