Il reste trois semaines à ceux qui n’y seraient pas encore allés pour voir la magnifique exposition Soulages au Centre Pompidou. Créées entre 1946 et aujourd’hui, plus de cent œuvres majeures de l’artiste permettent de parcourir une création qui a toujours refusé toute référence figurative et s’est attachée au travail du noir et de la lumière. L’exposition s’attarde tout particulièrement sur la dernière partie de la création de Pierre Soulages que l’artiste définie sous le terme outrenoir.
Un travail débuté en 1979 qui rompt pour l’artiste avec la conception traditionnelle de l’utilisation du reflet lumineux dans la peinture, n’en faisant plus une altération extérieure mais une partie intégrante de l’œuvre. « Outrenoir pour dire : au-delà du noir une lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l’être devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ mental que celui du simple noir. » C’est ainsi que Pierre Soulages définit ce travail.
Si cette œuvre est profondément marquante, c’est peut-être parce qu’elle manifeste un lien essentiel entre le spectateur et l’œuvre. Ce lien c’est justement la lumière, cette lumière qui tout à la fois permet de voir et vient altérer la chose vue et notre vue elle-même. Cette lumière changeante fait que notre regard comme la chose que nous regardons n’est jamais identique. L’œuvre vit par la lumière changeante qui la constitue et que le noir reflète. Mais le noir n’est pas qu’un simple réceptacle de la lumière, la manière dont il est étalé, en couches régulières ou non, plates ou épaisses, forme la lumière qu’il reçoit. Toutes les œuvres sont noires mais aucune n’est identique à l’autre et la moindre différence peut rendre des impressions totalement différentes.
Ce changement permanent nous renvoie à nous-mêmes et pour le chrétien est une parfaite métaphore de la vie
dans l’Esprit. Un esprit vivant qui, comme la lumière, est impossible à chosifier. La conversion à laquelle Dieu nous appelle, c’est l’accueil de l’Esprit qu’il nous envoie, afin qu’avec lui nous
ne fassions plus qu’un, naissant à une vie nouvelle au-delà de la simple vie. Si nous acceptons d’accueillir la lumière pour la refléter, pour la transmuter, nous cesserons
d’être uniquement des hommes et des femmes, identiques dans notre nature d’être humain. Nous devenons émetteur de clarté, de lumière secrète, au regard de ceux qui nous voient vivre. A
quelques jours de l’entrée en Carême, voir cette exposition et méditer sur ces œuvres peut être une réflexion salutaire sur « l’outreêtre » auquel Dieu nous appelle.