La parabole des dix vierges me laisse perplexe et je n’arrive pas à trouver que, sur les dix, cinq sont bonnes et cinq sont mauvaises. Pour être exact je trouve plutôt que les dix ne sont pas la hauteur du don qui leur est fait et que la parabole est l’annonce terrible du manque de foi de toute l’humanité.
Cette parabole de l’Evangile selon Saint Matthieu (25, 1-13) se trouve dans une section consacrée à la venue définitive du Royaume en Jésus (chapitres 24 et 25) dont le cœur du message est qu’il nous faut veiller dans l’attente de son retour. Veiller, c’est-à-dire rester éveillé pour l’accueillir : « Celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » (24, 13), « Veillez car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir… tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir. » (24, 42-44), « Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera en train de faire ce travail. » (24, 46), jusqu’à la conclusion de notre parabole « Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (25, 13)
Les dix vierges veillent-elles ? Non, elles se sont endormies et sont réveillées par l’appel : « Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre. ». Cinq ont pris des réserves d’huile et cinq, moins prévoyantes, ne l’ont pas fait. La lampe allumée est l’image de la foi et de la fidélité à la Loi et à l’enseignement de Jésus qui vient l’accomplir et non l’abolir. Or la foi, la Loi et l’enseignement de Jésus ne sont pas des biens qui proviennent de l’homme mais bien des dons de Dieu. Et cette foi ne se traduit pas par un bien que l’on garde jalousement mais par une manière de vivre fondée sur ce que nous recevons de Dieu : le don et le partage du don, signes tangibles de notre action de grâce au Seigneur. C’est ce que Jésus rappelle dans cette même section de l’évangile de Matthieu : « En vérité, je vous le déclare chaque fois que vous l’avez fait à un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (25, 40).
Or, quelle est la réaction des deux groupes de cinq vierges ? Celles qui ont des réserves refusent de les partager avec les autres de peur que ce qui leur reste du don de Dieu ne soit pas suffisant pour aller jusqu’à l’époux. Quant aux autres, de la même manière, plutôt que de faire confiance à celui qui donne, elles préfèrent retourner en arrière pour aller chercher des réserves. Les deux groupes sont donc dans une incompréhension totale de ce qu’elles possèdent, comptant le don de Dieu qui est surabondance.
Vous me direz alors que la conclusion de la parabole me donne tort puisque les cinq vierges prévoyantes finissent dans la demeure de l’époux et que les cinq autres restent à la porte. En effet, dans notre logique, il y a un hic. Surtout que cette section de l’évangile de Matthieu qui porte sur le jugement ne cesse de partager l’humanité en deux, une moitié étant « prise », l’autre « laissée ».
Oui mais, si cette parabole renvoyait à autre chose. Et plus particulièrement aux chapitres de l’évangile de Matthieu qui suivent, c’est-à-dire au mystère de Pâques qui inaugure l’entrée dans le Royaume. De quoi s’agit-il ici ? De vierges à qui il est demandé de veiller en attendant l’époux et qui s’endorment. Cette demande Jésus va la faire explicitement à ses disciples à Gethsémani (26, 36-46). Et ses disciples n’auront pas cette force et s’endormiront. « Ainsi vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation. L’esprit est plein d’ardeur mais la chair est faible. » (26, 41)
Ces disciples vivent avec Jésus, leurs lampes sont pleines, et pourtant… l’un reniera, un autre partira en courant, les autres rentreront chez eux désespérés. Mais Jésus leur fermera-t-il la porte du Royaume ? Non, il reviendra les chercher un à un, sur la montagne de Galilée, au bord de la mer de Tibériade ou à Emmaüs, pour qu’ils se mettent en route pour la mission.
Je crois que cette parabole est en deux temps et que ces deux temps sont des temps d’espérance et non des temps de jugements négatifs sur notre humanité qui est indéniablement pécheresse et faible. Le premier temps d’espérance est, comme pour les disciples de Gethsémani, que le Christ ne condamne pas ceux qui s’endorment mais vient les réveiller, les chercher, pour qu’ils se remettent en route. Le deuxième temps d’espérance, c’est le cas des cinq vierges dites prévoyantes mais qui montrent à l’évidence qu’elles ne sont pas encore totalement imprégnées du message du Christ. Même si elles n’ont pas compris que le don de Dieu ne se comptait pas, même si leur réaction vis-à-vis de leurs sœurs n’est pas à la hauteur du don qu’elles ont reçu, elles sont acceptées dans les noces éternelles. Mais l’histoire ne précise pas si Jésus les a accueillies à bras ouvert en les félicitant ou leur a adressé un petit mot choisi à leur arrivée !
Reste les cinq moins avisées. Elles ne s’étaient pas suffisamment préparées, elles n’ont pas veillées et elles ont préféré, par peur de tomber dans la nuit, ne pas s’élancer, confiantes, vers Celui qui est la Lumière. C’est bien la peur qui nous empêche d’aller de l’avant. C’est bien cette peur qu’il nous faut vaincre. Le Salut que Dieu nous donne c’est sa Parole. A nous de la porter haut et fort pour que les hommes et les femmes de notre temps puissent y fonder leur vie afin de ne pas avoir peur de répondre à l’appel de Dieu le jour où ils l’entendront. A nous de partager l’huile qui nous fait vivre, ces quelques millilitres d’huile qui nous ont marqué définitivement au jour de notre baptême pour nous faire entrer dans la vie de Dieu.