Non, l’éternité n’est pas une sorte de super Club Med’pour les siècles des siècles. Et heureusement, parce qu’alors, la vieille blague qui dit que « l’éternité, ce sera long surtout vers la fin » serait tristement vraie.
Mais la peur de l’ennui ne suffit pas à désarmer notre désir d’éternité : combien de fois avons-nous souhaité qu’à un instant précis, le temps s’arrête. N’avons-nous pas gémi avec le poète « Ô temps, suspends ton vol ».
Quoi, vous haussez les épaules, vous ne vous laissez pas prendre à ce miroir aux alouettes, vous êtes des esprits forts, vous croyez que ce qui compte, c’est ce qui se passe ici et maintenant, au présent ! Et bien, c’est précisément de quoi l’éternité nous parle. L’éternité nous parle du présent, c’est-à-dire, très exactement de ce à quoi nous aspirons.
Vivre au présent, être pleinement présent à nous-même, aux autres, avoir une parole si vraie, si juste qu’elle serait nous, tout simplement. Alors, nous serions enfin unifiés en nous-mêmes. Ce que nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous disons serait parfaitement, exactement ajusté. Comme Dieu, qui fait, qui dit et qui est, d’un seul et même élan de l’être, nous conjuguerions nos vies, nos pensées, nos relations au présent infini, au présent éternel. Oui, comme Dieu ! La vieille promesse, la vieille espérance : « Vous serez comme des dieux », se réalisent, non par le vol, la tricherie, le mensonge, l’orgueil, mais par don de Dieu.
Et nous en avons déjà l’expérience. N’est-ce pas ce que nous éprouvons parfois de façon fugace dans la perfection d’un instant, d’un regard échangé, d’une parole juste et vraie ? Cet incroyable don de la présence à soi-même et à l’autre, cette communion miraculeuse, rares, certes, éphémères, nourrissent en nous le goût de l’éternité.
C’est aussi le don qui nous est fait spécialement dans la communion eucharistique, le don du présent et de la présence, comme un avant-goût de l’éternité. Et d’ailleurs, c’est bien ce que dit le prêtre dans l’une des prières qui précèdent : « Que la communion au Corps et au Sang du Christ nourrisse en nous la vie éternelle ».
Je me rends compte qu’une partie de mon texte est écrit au conditionnel, comme si je ne croyais pas tout à fait à ce que je dis, ou comme s’il y avait des « conditions ». Oui, il y a une unique condition, le désir. Est-il possible de ne pas désirer cette unité, cette union, cette communion ? J’espère que non. Je me murmure à moi-même les beaux mots de saint Augustin : « Tu nous as faits pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».
Très bien me direz-vous, mais l’éternité, c’est pour quand ? Une voix amie me souffle que la première et la dernière Béatitudes sont au présent. Au présent éternel ! Bonne nouvelle, l’éternité, c’est déjà commencé.
Évangile de Matthieu au chapitre 5, les Béatitudes
" Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux les affligés, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils posséderont la terre.
Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux. "