En régime catholique, la liberté, c’est un peu comme de la nitroglycérine, un produit hautement dangereux, à manier avec pincettes et précaution : on ne sait jamais, un geste brusque, une parole imprudente, et ça peut vous sauter à la figure. Et d’ailleurs, il y a de tragiques exemples, comme ces pauvres Adam et Ève. On croirait un jeu de mauvaise télé-réalité. Ils peuvent tout manger, sauf un arbre… Allez, céderont-ils ? Si vous pensez qu’ils vont craquer, faites le 1… Aïe, voilà le serpent, le rusé. Il approche Ève, le maillon faible… D’ailleurs où était-elle quand la règle du jeu a été dévoilée ? Stop, arrêtez le jeu ! Elle n’était pas encore créée, elle n’a rien entendu. Ce n’est pas juste… Trop tard, le serpent, cauteleux comme le Kaa du Livre de la jungle, susurre et trompe sa confiance. Et patatras, voilà nos deux héros jetés sur les routes du monde avec une peau de bête sur le dos et la liberté en bandoulière.
Alors, depuis, il paraît qu’il faut se méfier de la liberté.
Évidemment, cette histoire à dormir debout est colportée par d’aimables individus qui sont prêts à nous délester de notre chère et dangereuse liberté : « Ne prenez pas de risques inutiles, déposez la chose dans nos coffres, ils sont à l’abri des secousses sismiques et des serpents ». Désormais, contentez-vous de faire ce que nous vous disons de faire, et vivez tranquille.
Celui ou celles qui décline l’offre est implacablement traité d’orgueilleux irresponsable.
Alors, faut-il se soulager de sa liberté de crainte d’en faire mauvais usage ?
Il y a un petit problème, c’est qu’il semble que la liberté, et le petit matériel livré avec, conscience et libre arbitre soient précisément ce qui fait de nous des êtres humains. Il semble bien que ce soit notre « propre », le propre de l’homme. Mon chien est bien brave, il est fidèle, aimant, dévoué, obéissant. Est-ce ainsi que Dieu nous veut ?
Sans hésitation, je réponds « non ». Et ce n’est pas un hasard si la Bible ne cesse de rapporter des exemples d’émancipation. Abraham quitte la terre de ses pères pour accéder à sa propre histoire. Dieu libère son peuple d’Égypte, de la maison de servitude. Sans cesse, Dieu libère, Jacob de sa place de cadet, David de son rang de petit dernier, ou Anne ou Élisabeth de leur stérilité. Jésus à son tour libérera, l’aveugle de la nuit, le sourd du silence, le paralytique de l’immobilité, Lazare du tombeau, et finalement, nous délivrera du mal et de la mort.
Alors, croyez-moi, la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas, et celui qui la dépose au coffre ou l’enterre comme un talent inutile encourt la colère de celui qui nous l’a confiée comme le plus précieux des trésors.
Aujourd’hui, notre catéchisme sera celui de Charles Péguy qui met dans la bouche de Dieu la phrase suivante :
« Quand on a connu d’être aimé par des hommes libres, les prosternements d’esclave ne vous disent plus rien ».
En une ligne et demi, l’essentiel est dit.