Dans le langage commun, une passion est un déploiement de sentiments intenses et violents, et tout bien considéré, le mot convient sans doute mieux qu’il n’y paraît au premier abord pour désigner les heures qui précèdent la mort de Jésus.
Ce qu’on nomme « cycle de la Passion » commence lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, sous les ovations, les cris de joie et l’émotion populaire.
Les évangiles rapportent ensuite diverses prédications de Jésus et des polémiques avec les juifs religieux autour du Temple. Combien de temps cela a-t-il duré ? Quelques jours, quelques semaines, difficile de le dire, mais on voit bien l’atmosphère se tendre et le péril approcher.
La Passion proprement dite, c’est-à-dire les dernières heures de la vie de Jésus ont donné lieu à des récits assez précis dont les quatre évangiles présentent des variantes mais qui proposent cependant une vision très concordante de la poignée d’heures (dix-huit tout au plus) qui sépare le dernier repas du dernier soupir. Voilà des heures qui depuis deux mille ans ont irrésistiblement attiré ceux et celles qui ont voulu connaître Jésus. Pour cet homme, plus que pour tout autre, ces derniers instants sont la clé de compréhension de sa vie tout entière et de sa postérité.
Osons en quelques lignes en tracer les contours. Le dernier soir, Jésus partage un repas avec ses amis. Il sait que ses ennemis sont déterminés, que les heures maintenant lui sont comptées. De chaque attitude, de chaque parole, il fait un testament. Les gestes les plus ordinaires prennent un sens nouveau. Le lavement de pied, simple rite d’accueil devient un manifeste : le service de l’autre est mis au dessus de tout. L’imitation du maître, ce ne sera pas de savoir parler comme lui, mais de savoir se pencher comme lui. Avec le pain et le vin, il arrête le temps pour le rendre éternel. Ce pain dans ses mains, c’est son corps, sa vie donnée. Dans quelques heures, les soldats vont se saisir de lui, mais par avance, il proclame qu’il n’est pas la victime, il est le don et le donateur. On croira venir le prendre, mais lui affirme puissamment par avance qu’il se donne : « ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ». Radicale proclamation de la liberté. Et pourtant, plus tard, dans la nuit, il faudra que la volonté s’offre à la liberté et que la liberté s’offre à la volonté. Mystérieuse nuit qui captiva tant de mystiques. Nuit où Dieu se donne à l’Homme et où l’Homme se donne à Dieu. Don unique, parfait, définitif et éternel. Nul ne se donne dorénavant sans passer par ce don, par Lui, avec Lui et en Lui.
Et quand les torches approchent dans la nuit, commence l’atroce comédie. Les masques abominables et grimaçants de la trahison, de la peur, de la lâcheté et du reniement ricanent autour de l’innocence exposée. Mensonges, faux-témoignages, insultes, injures, appât du gain, veulerie des puissants, vulgarité des foules abjectes et manipulée. Il y a dans cette matinée à Jérusalem une sorte d’effroyable montée en puissance du mal et de l’injustice.
Et puis la croix se dresse, supplice effroyable qui devrait laisser sans voix mais non, les sarcasmes continuent. Il est presque trois heures : « Père pardonne-leur… ». Comment le condamné trouve-t-il ce dernier souffle ? C’est fini, il ne reste plus que cette onde de pardon qui déjà se répand par tout la Terre.
La passion de Jésus-Christ : les quelques heures tragiquement ordinaires d’un supplice comme hélas il s’en déroule quotidiennement, ou victoire définitive de l’amour et de la liberté ? La question est ouverte, la réponse est dans la foi.