Je dois avouer que j’ai beau tourner le problème dans tous les sens, je ne vois pas comment - sauf à faire dire aux mots le contraire de ce qu’ils signifient - on peut sauver le concept.
En effet, de quoi s’agit-il ? À l’origine de l’histoire humaine, nos « premiers parents », un homme et une femme, auraient commis une faute de désobéissance (usage abusif de leur liberté) qui aurait causé leur « chute ». Depuis lors, la belle et bonne Création du Bon Dieu en aurait pris un coup, elle se serait corrompue par une sorte de contagion, et par l’effet de cette contagion, tous les humains naitraient marqués par une faute qu’ils n’ont pas commise.
Qu’est-ce qu’on peut comprendre à cette histoire ? S’il s’agit de rendre compte de la présence du mal dans le monde, et de la capacité, et même de la tendance de tout être humain à se laisser aller au mal, il suffit de parler de « péché du monde ». Pourquoi en imputer la responsabilité à d’hypothétiques premiers humains dont on est en droit de se demander si leur toute jeune conscience était réellement éclairée ? Et qui est ce Dieu qui ressemble à Barbe-Bleue : « tu ne mangeras pas de ce fruit », « tu n’ouvriras pas cette porte… »?
Non, résolument cette histoire n’a pas de sens…
Enfin, elle n’a pas de sens si, ainsi que la doctrine catholique le prétend, il faut poser ce « péché » de façon « historique ».
En revanche, si cette histoire est métaphorique de celle de chaque humain, alors, elle commence à fonctionner. En effet, qui pourrait nier que chaque enfant qui naît est hélas, mille fois hélas, contaminé par le péché qui le précède. Nul n’en est indemne. Aucun parent, si saint soit-il ne peut espérer, par ses propres forces, préserver son enfant du péché et du mal.
Si le péché « originel » est celui que nous n’avons pas commis nous-même mais qui nous contamine dès nos premières bouffées d’air aspirées, alors, cela prend sens. Oui, mon histoire dès l’origine est marquée par le mal et le péché, à « l’insu de mon plein gré », d’abord, puis très vite avec ma connivence.
Il reste que si nous voulons être compréhensibles dans le monde tel qu’il est, et auprès de générations qui sont familières des dinosaures, des Pithécanthropes, des Homo Erectus, Néandertaliens et autres, nous devrions éviter d’employer des mots et des concepts qui leur semblent aussi ridicules qu’incompréhensibles.
Il y a un mystère du mal que chaque être humain doit affronter en ce qu’il en est à la fois victime, complice, voire, trop souvent acteur. La Bonne Nouvelle chrétienne c’est que nous ne sommes pas sans recours, que nous croyons que le Dieu bon et miséricordieux pour qui chaque humain compte nous donne la force de ne pas succomber au mal, nous relève sans relâche, et nous promet que son acte créateur s’accomplit ultimement dans la victoire définitive sur le mal. Si Dieu regardant sa Création voit que cela est bon, c’est parce qu’il voit loin.
Et il me semble que cette Bonne Nouvelle se passe très bien des fables originelles qui déjà font hausser les épaules aux gosses de huit ans.
Cette fois, la citation du Catéchisme de l’Église catholique illustre l’impasse que je décris ci-dessus.
CEC §390 : Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme (cf. GS 13, § 1). La Révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents (cf. Cc. Trente : DS 1513 ; Pie XII : DS 3897 ; Paul VI, discours 11 juillet 1966).