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15 février 2010 1 15 /02 /février /2010 00:07

Jacques Prévert, un peu anarchiste et beaucoup poète, n’hésita pas à écrire : « Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y, et nous, nous resterons sur la Terre, qui est quelquefois si jolie ». Un bon mot qui pourrait passer pour un blasphème.

Il faut dire que Prévert, qui n’avait aucune sympathie ni pour la maréchaussée, ni pour les forces armées ne tenait pas à ce qu’un Dieu en figure de gendarme vienne instaurer sur la terre on ne sait quel ordre bien pensant, aux dépends, croyait-il, de la fraternité, de la liberté, et surtout de la joie de partager, avec un verre de bon de vin, une miche de pain frais, et peut-être un peu de fromage, le bonheur d’être humains ensemble, tout simplement.

Et bien, Jacques, il y a un détail qui a dû t’échapper, c’est que Dieu, n’est pas resté au ciel. Il est venu sur la terre. Non pour distribuer des bons points ou nous coller des contraventions, mais précisément pour s’asseoir à table avec nous, vider quelques verres, et partager notre pain. Je m’étonne que tu n’aies jamais rencontré un curé sympa pour t’expliquer que Dieu (Jésus) avait une tendance prononcée à aimer faire bombance et qu’il savait « se tenir à table », au point, que ce qui nous est promis « au ciel », n’est rien moins qu’un banquet de viandes succulentes et de vins capiteux.

Cela dit, Jacques, je suis bien certain que maintenant tu le sais, et que toi qui aimais tant la terre et les pauvres humains, tu as trouvé « au ciel » une belle place réservée à ton nom.

 

Bien, cela dit, qu’en est-il exactement du « ciel ». Un certain nombre de religions ont considéré comme probable que le ciel soit l’habitat des dieux. Dans cette vision, les méchants (mauvais dieux ou démons) vivent sous la terre, les humains sur la terre, les dieux dans l’azur. Le ciel est inaccessible, et tenter de s’y introduire expose à la colère divine. C’est vrai des dieux de l’Olympe, mais aussi du Dieu de la Bible dans l’épisode de la tour de Babel.

Cependant, dans la Bible, au fur et à mesure que Dieu se révèle, quelque chose change, et l’étanchéité entre le ciel et la terre n’est plus si certaine. Presque à la même époque, Élie quitte la terre, sans doute pour le ciel, dans un char de feu, et le prophète Isaïe gémit de désir dans la prière qu’il adresse à Dieu : « Ah, si tu déchirais le ciel ». Il est exaucé quelques siècles plus tard, lors du baptême de Jésus, quand enfin, « les cieux s’ouvrent ». Et à partir de la mort et de la résurrection de Jésus, les cieux restent ouverts. Ainsi, symboliquement, à l’heure de la mort du Christ, le rideau du Temple s’est-il déchiré.

Jacob le patriarche avait déjà vu la communication entre le ciel et le terre dans le ballet des anges. Désormais, par le Christ, le ciel vient sur la terre, et en retour, le Christ devient l’échelle par laquelle nous, les humains, allons au ciel.

Et pour avoir un avant-goût du ciel, il n’est qu’à s’asseoir à la table des agapes. À la table eucharistique, quand nous mangeons le pain de la Vie et buvons à la coupe du Salut, nous sommes en communion avec ceux qui au « ciel », sont déjà attablés (salut Jacques), et unis à tous ceux avec qui et pour qui le banquet du Seigneur est célébré.

 

Cette semaine, ceux qui voudront feuilleter le Catéchisme de l’Église catholique iront voir du côté des références 326 ou 2802. Je préfère, quant à moi, vous proposer de lire le Pater Noster de Prévert en entier.

Il me semble que c’est justement pour sauver « cette terre (…) si jolie », telle que Prévert la décrit, que Dieu a déchiré le ciel.

 

Pater Noster

Notre Père qui êtes aux cieux

Restez-y

Et nous nous resterons sur la terre

Qui est quelquefois si jolie

Avec ses mystères de New York

Et puis ses mystères de Paris

Qui valent bien celui de la Trinité

Avec son petit canal de l’Ourcq

Sa grande muraille de Chine

Sa rivière de Morlaix

Ses bêtises de Cambrai

Avec son Océan Pacifique

Et ses deux bassins aux Tuileries

Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets

Avec toutes les merveilles du monde

Qui sont là

Simplement sur la terre

Offertes à tout le monde

Éparpillées

Émerveillées elles-mêmes d’être de telles merveilles

Et qui n’osent se l’avouer

Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer

Avec les épouvantables malheurs du monde

Qui sont légion

Avec leurs légionnaires

Avec leurs tortionnaires

Avec les maîtres de ce monde

Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres

Avec les saisons

Avec les années

Avec les jolies filles et avec les vieux cons

Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons.

 


 

100 mots pour la foi

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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 19:44

 

Lectures  :
Jérémie 17, 5-8
1re lettre aux corinthiens 15, 12.16-20
Luc 6, 17.20-26



Les textes de ce dimanche nous promettent bonheur ou malheur et si nous croyons que la parole de Dieu est vérité, il nous faut entendre ces textes afin de savoir ce qu’il en est de ce bonheur. Dans l’Evangile de Luc, Jésus descend de la montagne et, contemplant ses disciples, annonce aux pauvres, à ceux qui ont faim, pleurent ou sont rejetés à cause de lui de la société qu’ils sont heureux. Ces paroles ne nous sont pas nouvelles. Dans la synagogue déjà, il avait annoncé que c’était pour eux, les exclus, qu’il était venu afin d’accomplir la promesse de Dieu. « Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération » ajoutant « Cette parole de l'Écriture, que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. »

Sur ce point, il n’y a donc rien à dire de plus. La promesse de Dieu est accordée en priorité à ceux qui n’ont d’autres défenseurs que Dieu lui-même. A eux, qui sont en bas de la montagne,, le tressaillement de joie, le véritable bonheur, est donné à vivre dans la rencontre directe du Seigneur. Ils sont heureux aujourd’hui de cette rencontre, de cette parole accomplie, et n’ont plus à douter que la promesse eschatologique se réalisera pour eux et qu’ils seront des citoyens comblés et heureux dans le Royaume des Cieux.

Mais Jésus ne s’arrête pas là. Il délivre une série de quatre imprécations parallèles  aux riches, aux repus, aux rieurs, à ceux dont on dit du bien. La mise en garde contre la richesse traverse l’Evangile de Luc. Il ne s’agit pour autant pas ici de condamnations de comportements qui pourraient nous paraître en contradiction avec la volonté de Dieu contrairement aux béatitudes de Matthieu qui soulèvent de vrais problèmes éthiques. La conclusion des deux séries nous donne une clé de lecture évidente : celle du traitement fait aux vrais et aux faux prophètes et donc à la Parole de Dieu elle-même. Le danger des richesses et des joies de notre vie terrestre c’est de se laisser bercer et berner par des bonheurs illusoires alors que le véritable bonheur eschatologique nous est promis.

C’est bien ce que nous rappelle d’ailleurs Jérémie pour qui l’opposition entre les « heureux » et les « malheureux » est très bien définie : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans un mortel, qui s'appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur. […] Béni soit l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur, dont le Seigneur est l'espoir. » La question n’est pas finalement d’être riche ou pauvre mais de savoir en qui nous mettons notre confiance. Et la seule personne capable de nous apporter le bonheur éternel c’est le Seigneur.

En effet, tous nos bonheurs terrestres, quelles que soient nos richesses et nos joies, se heurteront aux aléas de la vie et finalement toujours à ce qui est pour nous une fatalité : la mort. Seul finalement le bonheur qui nous est promis dans la vie éternelle de Dieu par le Seigneur ressuscité des morts est durable et fiable. C’est pourquoi Paul nous dit : « Et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien, vous n'êtes pas libérés de vos péchés ; et puis, ceux qui sont morts dans le Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non ! le Christ est ressuscité d'entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. »

Alors à la question Pour quand est le bonheur ? nous pouvons répondre avec certitude que le véritable bonheur est pour la  vie éternelle. Mais nous devons également nous souvenir que le bonheur est donné immédiatement par la certitude de l’accomplissement de la Parole de Dieu. Cette parole nous en sommes dépositaires et c’est à nous d’annoncer toujours en priorité à ceux qui se sentent exclus que le Royaume de Dieu est à eux. Ce bonheur là est bien terrestre, il continue de s’accomplir aujourd’hui quand au nom du Christ nous annonçons la Bonne-Nouvelle. C’est pourquoi Paul nous dit dans les actes « Je vous ai toujours montré qu'il faut travailler ainsi pour secourir les faibles, en nous rappelant les paroles du Seigneur Jésus, car lui-même a dit : Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir. » (Ac 20, 35)

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13 février 2010 6 13 /02 /février /2010 12:37

Il reste trois semaines à ceux qui n’y seraient pas encore allés pour voir la magnifique exposition Soulages au Centre Pompidou. Créées entre 1946 et aujourd’hui, plus de cent œuvres majeures de l’artiste permettent de parcourir une création qui a toujours refusé toute référence figurative et s’est attachée au travail du noir et de la lumière. L’exposition s’attarde tout particulièrement sur la dernière partie de la création de Pierre Soulages que l’artiste définie sous le terme outrenoir.

 

Soulages


Un travail débuté en 1979 qui rompt pour l’artiste avec la conception traditionnelle de l’utilisation du reflet lumineux dans la peinture, n’en faisant plus une altération extérieure mais une partie intégrante de l’œuvre. « Outrenoir pour dire : au-delà du noir une lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l’être devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ mental que celui du simple noir. » C’est ainsi que Pierre Soulages définit ce travail.

 

Si cette œuvre est profondément marquante, c’est peut-être parce qu’elle manifeste un lien essentiel entre le spectateur et l’œuvre. Ce lien c’est justement la lumière, cette lumière qui tout à la fois permet de voir et vient altérer la chose vue et notre vue elle-même. Cette lumière changeante fait que notre regard comme la chose que nous regardons n’est jamais identique. L’œuvre vit par la lumière changeante qui la constitue et que le noir reflète. Mais le noir n’est pas qu’un simple réceptacle de la lumière, la manière dont il est étalé, en couches régulières ou non, plates ou épaisses, forme la lumière qu’il reçoit. Toutes les œuvres sont noires mais aucune n’est identique à l’autre et la moindre différence peut rendre des impressions totalement différentes.

 

Ce changement permanent nous renvoie à nous-mêmes et pour le chrétien est une parfaite métaphore de la vie dans l’Esprit. Un esprit vivant qui, comme la lumière, est impossible à chosifier. La conversion à laquelle Dieu nous appelle, c’est l’accueil de l’Esprit qu’il nous envoie, afin qu’avec lui nous ne fassions plus qu’un, naissant à une vie nouvelle au-delà de la simple vie. Si nous acceptons d’accueillir la lumière pour la refléter, pour la transmuter, nous cesserons d’être uniquement des hommes et des femmes, identiques dans notre nature d’être humain. Nous devenons émetteur de clarté, de lumière secrète, au regard de ceux qui nous voient vivre. A quelques jours de l’entrée en Carême, voir cette exposition et méditer sur ces œuvres peut être une réflexion salutaire sur « l’outreêtre » auquel Dieu nous appelle.


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9 février 2010 2 09 /02 /février /2010 14:17

François Picart, prêtre de l’Oratoire, me fait parvenir cet éditorial qu'il a signé dans le Courrier de l'Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture - ACAT (janvier 2010). Une manière de poursuivre la réflexion sur l'œcuménisme entamée à l'occasion de la Semaine de prière pour l'Unité des chrétiens.

 

Ce numéro spécial du Courrier sur l’œcuménisme est une bonne nouvelle !

Cent ans après la Conférence mondiale des missions, réunie à Edimbourg en 1910, un rassemblement souvent considéré comme le point de départ du mouvement œcuménique contemporain, où en est ce dernier ? Après l’élan pris à la suite du rapprochement opéré par l’Église catholique lors du concile Vatican II, les dialogues donnent parfois l’impression d’être retombés, tel un soufflé. Or, en regardant dans le rétroviseur des accords signés, des célébrations partagées, des gestes posés, des actions engagées, que de réalisations concrètes nourrissent notre espérance !

Certes, la communion ecclésiale, donc eucharistique, ne peut encore s’exprimer entre toutes les Églises. Tant de divisions et de rancœurs accumulées au cours des siècles ne pouvaient fondre comme neige au soleil. La distance et l’incompréhension ont demandé aux Églises d’ajuster leurs méthodes de travail et de distinguer entre les formes de pensée par lesquelles chacune rend compte dans l’Esprit Saint de sa propre fidélité à l’unique dépôt apostolique. Cet ajustement demande une vigilance que les militants de l’ACAT éprouvent eux-mêmes lors des rassemblements. Pensons aux différentes manières de nous positionner devant la mort de l’un des nôtres. Ce travail d’ajustement entre les différentes Églises a déjà commencé à porter ses fruits, mais il n’est pas achevé : théologie de l’Église, théologie des ministères, pratique de l’hospitalité eucharistique, autant de chantiers, interdépendants, encore inachevés auxquels œuvrent, malgré la prudence des institutions et quelques crispations fort regrettables, des lieux comme le Conseil œcuménique des Églises, Le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, le Groupe des Dombes, les différentes commissions théologiques bilatérales de dialogue œcuménique, etc. Malgré les épreuves, le chemin déjà parcouru nous conduit à mettre notre confiance dans l’Esprit qui réconcilie les cœurs et les institutions ecclésiales.

En effet, la communion baptismale est déjà là. Dieu nous donne de vivre en communion au jour du baptême qui nous introduit dans le Corps du Christ. Certes, catholiques et orthodoxes ne lui reconnaissent pas la même plénitude que celle qui s’exprime dans la communion eucharistique. En effet, ce don de Dieu est blessé par les divisions entre les Églises. Cependant, la communion baptismale n’en est pas moins réelle. En effet, si la communion ecclésiale est don de Dieu, comme tel, elle ne peut être anéantie par la violence des hommes. Blessée, elle demeure nourrie à la Table de la Parole et vivante du souffle de l’Esprit qui précède et accompagne les Églises, mais aussi des associations de baptisés comme l’ACAT.

À l’ACAT, la communion baptismale est vécue sur un terrain éthique, celui des droits de l’homme. Sur ce registre, il ne nous appartient pas de résoudre les différents théologiques confiés aux commissions théologiques ad-hoc. À l’ACAT, la responsabilité œcuménique, commune à tous les baptisés, s’exprime autrement, à travers leur action commune pour rendre témoignage au Royaume qui vient. Sur le terrain des droits de l’homme, cette responsabilité s’exprime comme un chemin diaconal, c'est-à-dire au service des autres au nom de Dieu, à l’image du serviteur souffrant. Bien que blessée, la communion baptismale est vécue comme les mains de Dieu dans les événements. En effet, elle rend effectivement témoignage à la puissance de Dieu lorsque des baptisés dépassent divisions et incompréhensions pour agir ensemble en artisans de justice, de paix et de réconciliation ; lorsque des baptisés dépassent une souffrance qui exprime leur impatience de l’unité, pour répondre ensemble à l’urgence qui les requiert chaque fois qu’est défigurée l’icône de Dieu qu’ils reconnaissent en tout homme, y compris les bourreaux. Mystère de la miséricorde de Dieu qui nous saisit, nous réconcilie et nous convertit ensemble au Christ-Serviteur plus fort que nos divisions (1 Co 11, 19).

 

 

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8 février 2010 1 08 /02 /février /2010 00:10

Allez, avouons-le, nous n’étions plus si petits que cela quand nous pensions que dans Jésus Christ, Jésus était le prénom et Christ le nom. Et d’ailleurs, avons-nous fait beaucoup de progrès ? Jésus, Christ, Jésus-Christ, Jésus le Christ, Savons-nous ce que nous disons ?

Bon, essayons de trier. Jésus est bien ce que nous appelons un prénom. C’est le nom que l’enfant de Marie et Joseph reçoit à sa naissance. Il est Jésus, fils de Joseph, de la famille de David.

Le choix du « prénom », n’est pas celui des parents, mais celui que l’ange indique. Les deux évangiles qui racontent l’enfance de Jésus, Luc et Matthieu, montrent sur ce point un étonnant parallélisme. À Marie, en Luc, l’ange dit « tu l’appelleras du nom de Jésus », et à Joseph, en Matthieu, il use des même termes : « tu l’appelleras du nom de Jésus ». Exemplaire unanimité ! Encore une preuve de la qualité des anges comme messagers !

Jésus, Yeshoua, en hébreu, est un prénom usité à l’époque, mais non dénué de sens, puisqu’il signifie « Dieu Sauve ». C’est une forme moderne du vieux nom Josué.

Christ, en revanche, est un mot grec. Il est la traduction de l’hébreu mashia’h, Messie. La traduction française est « oint », du verbe oindre. Le mot fait référence au geste par lequel le roi est désigné.

C’est ainsi que le prophète Samuel choisit de la part de Dieu les premiers rois d’Israël, Saül, puis David. Il leur verse de l’huile sur le front. Par ce geste, il matérialise le choix de Dieu. L’huile imprègne celui qui est choisi. Le geste subsiste dans les actes d’onction des rituels de certains sacrements, en particulier le baptême.

Jésus, en étant appelé Christ est donc désigné comme le Oint de Dieu, celui que Dieu a élu.

À l’époque de la naissance de Jésus, le peuple juif, qui a perdu ses rois depuis longtemps, et qui subit la domination des puissances voisines, grecques puis romaines, tente de se consoler de ses épreuves en cultivant une espérance messianique. On espère que Dieu va envoyer un sauveur libérateur.

C’est la question et l’espoir que Jésus va soulever. Est-il le Oint, l’élu de Dieu, celui qui doit venir, celui qu’on attend ? Jean-Baptiste lui fera poser la question. Pierre y répondra le premier à Césarée. Quand Jésus lui-même demande : « Qui dites-vous que je suis ? », il se lance : « Tu es le Christ de Dieu ». La question sera posée, directement à Jésus, au cours de son procès, afin de le mettre en accusation, et plus tard, sur la croix, dans la raillerie : « Si tu es le Christ, sauve-toi toi même. »

Et en effet, par la croix, la mort et la résurrection, la réponse définitive est exposée.

Jésus est bien Christ, choisi et donné par Dieu, pour combattre, triompher et régner. Au détail non négligeable qu’il ne s’agit ni de reprendre la terre d’Israël aux légions romaines, ni de délivrer le peuple de l’occupation militaire, mais de rendre l’humanité à sa vocation qui est d’aller vers Dieu et de la délivrer définitivement du péché, du mal et de la mort.

Voilà, ce que nous affirmons en nommant Jésus « Christ ». Nous affirmons sa victoire définitive et le règne de Dieu qui vient. De quoi en effet, tomber à genoux… À quoi Paul nous invite dans l’Hymne au Philippiens, au chapitre 2, dont voici la finale.

C’est pourquoi Dieu l’a élevé plus haut que tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms, afin qu’au nom de Jésus, dans les cieux, sur la terre et dans l’abîme, tout être vivant tombe à genoux et que toute langue proclame : Jésus Christ est le Seigneur, pour la gloire de Dieu le Père.



100 mots pour la foi

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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 18:06


Les textes :

Isaïe : 6. 1-8
Psaume 137
1ère lettre aux Corinthiens : 15. 1-11
Evangileselon saint Luc : 5. 1-11


Jésus est entouré par la foule qui se presse pour entendre la parole de Dieu. Tous ces hommes et ces femmes sont tellement proches de lui qu’il ne peut pas leur parler, qu’ils ne peuvent pas l’entendre. Pour les enseigner il doit demander à Simon de monter dans sa barque afin de s’éloigner un peu pour pouvoir annoncer la parole de Dieu, sa parole. La parole a besoin de distance pour résonner, pour être entendue. Cette distance peut-être une distance physique, comme ici, ou une distance temporelle qui permet l’assimilation, la compréhension, la digestion de la parole. Cette distance temporelle, les quatre premiers apôtres vont la vivre en laissant tout (encore une prise de distance) et en suivant Jésus pour petit à petit comprendre son enseignement.

 

Mais là encore, la compréhension ne sera vraiment totale que quand Jésus aura pris une nouvelle distance. Alors, après sa mort et sa résurrection, après les apparitions du Christ ressuscité, ils se souviendront de ce qu’il avait dit, comprendront la réalité de la promesse de Dieu, et se mettront, comme Jésus, en route pour l’annoncer. Alors, d’autres foules se rassembleront autour d’eux, d’autres hommes et d’autres femmes se détacheront de ces foules et à leur tour reprendront le flambeau pour annoncer la Parole. C’est ce que nous dit Paul dans ce passage de la première lettre aux corinthiens : la transmission de la parole de Jésus est appuyée sur le souvenir transmis du Christ ressuscité, apparu aux premiers chrétiens, Jésus avec qui ils avaient cheminé et dont ils avaient entendu la parole. Tel est le trésor vivant de l’Eglise que nous devons à notre tour transmettre.

 

Et d’ailleurs, contrairement à Marc et à Matthieu, Luc insère dans ce récit de l’appel des premiers disciples un récit de pêche miraculeuse. Une pêche qui donne une nourriture en abondance, une nourriture qui sera abandonnée à la foule puisque les quatre pêcheurs partiront avec Jésus. A la manière de Jean, Luc nous offre un signe mystérieux qui nous met sur le chemin de l’eucharistie et qui nous dit aussi le lien extrêmement puissant entre le partage de la Parole et celui de la Nourriture que nous vivons chaque dimanche à la messe. C’est après ce signe que Simon comprend que le maître est le Seigneur. C’est après ce signe qu’il se met à sa suite.

 

Et là encore, il est question de mise à distance. « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur. », dit Simon à Jésus en le reconnaissant. Une exclamation que la liturgie nous invite à lire en parallèle de celle d’Isaïe « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l'univers ! » Mais là, point besoin d’ange et de charbon ! Jésus est le Seigneur et c’est sa présence, sa parole et son amour pour l’homme qui le purifient et le rendent digne de cheminer avec lui.

 

Car la distance dont il est question dans cet évangile, n’est pas une distance qui sépare mais au contraire une distance qui lie l’homme à Dieu dans une véritable (re)connaissance. Le désir de la foule est immense, le désir des hommes et des femmes de notre temps tout autant. Mais pour reconnaître Celui que leurs cœurs cherchent, il est nécessaire que des hommes et des femmes se détachent, montent sur la barque, et l’annoncent. L’Eglise est cette barque. Avec le temps, elle s’est peut-être transformée, pour certains, en une nef voguant trop loin du bord. C’est pourquoi il faut toujours se rappeler que cette distance nécessaire a sa finalité dans la proximité des hommes et des femmes. Jésus et ses quatre pêcheurs sont redescendus de la barque et ont sillonné le pays pour être des pêcheurs d’hommes. « Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. »

 

J'entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j'ai répondu : « Moi, je serai ton messager : envoie-moi. »

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3 février 2010 3 03 /02 /février /2010 23:20

Une bonne âme a attiré mon attention sur cet événement qui se déroulera les 12, 13 et 14 février à Saint Etienne, c’est-à-dire à la veille de l’entrée en Carême.

 

Le jeûne, comme les privations en général, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Je suis donc allé sur le site de cette manifestation en m’attendant au pire : pieuses pensées sur la privation et bonne spiritualité de l’expiation par la souffrance qui je l’avoue ne m’est pas très familière. Finalement j’ai été presque déçu ! Loin de ces considérations, les assises chrétiennes du jeûne présentent cette pratique, multiséculaire, sous un angle très « mode », les bienfaits d’une cure detox sans thé vert mais avec des bouillons de légumes, du miel et des jus de fruits. Le jeûne rajeunit, fait du bien à l’organisme et au psychisme ainsi quand même qu’à notre élévation spirituelle. 

 

Trèves de plaisanteries, après lecture des différentes pages, la spiritualité qui s’en dégage est plutôt celle d’une libération que d’une expiation, celle du bien être que de la souffrance, celle d’une régénération plus que d’une privation. Et le sens du jeûne, comme de la pauvreté chrétienne, est bien là. Ce n’est pas l’absence de biens qui est recherché, tout au contraire, c’est l’acquisition du Bien, de cette manne abondante qui seule nous nourrit en suffisance, de Dieu lui-même. L’idée n’est pas de nous priver de nourriture, de télévision, de cigarettes ou de je ne sais quelles autres possessions, mais bien de nous mettre en condition d’accueillir avec joie le don infini de Dieu. Et parfois, il faut bien l’admettre, nos goûts terrestres pour un certain nombre de babioles de pacotilles ou plus encore pour nous-mêmes, nous empêchent non seulement d’être accueillant à ce don mais d’être accueillant à nous-même et à nos frères et sœurs.

 

Finalement, le jeûne est comme cette « nudité intérieur » dont parle si bien Pierre de Bérulle. Une nudité qui nous permet d’accueillir Celui qui nous fait pleinement homme et femme, à l’image du Christ.

 

« Comme par abaissement nous adorons la grandeur de Dieu, par dénuement et dépouillement ou appauvrissement de notre être, nous adorons les richesses infinies en l’infinie plénitude et abondance de son être qui seul suffit et à soi et à toutes choses, et ce très abondamment.

Il faut aussi adorer la nudité de Jésus dénué de toutes choses divines pour adorer le Père éternel par une sorte de nudité qui n’est propre qu’à lui et à son état déifié.

L’esprit de cette nudité tend à nous dénuer si profondément de nous-mêmes et si intimement que notre être ne soit plus qu’une pure capacité de l’être divin. »

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1 février 2010 1 01 /02 /février /2010 00:43

 

Nos grands-parents ont chanté qu’ils étaient chrétiens et que c’était leur gloire. Deux générations plus tard, on a été pour ou contre l’inscription des racines chrétiennes de l’Europe dans les textes fondateurs. On en déduirait aisément qu’être chrétien est un enjeu d’identité. Être ou ne pas être… En être ou ne pas en être… Hélas, la notion d’identité recèle souvent le germe de l’exclusion. Si je suis, si j’en suis, il y en a d’autres qui ne sont pas, qui n’en sont pas.

Et là, j’avoue que j’ai un problème. Je veux bien admettre que certains soient Français et d’autre pas. Après tout, chacun sa patrie, le lieu de ses pères (et mères) et de ses frères (et sœurs). Mais oserai-je m’approprier le Père et le Frère ? Car si je suis chrétien, j’affirme que je suis « du Christ ». Par lui j’entre dans la fraternité. Par la fraternité, j’entre dans la « filialité ». Si je suis frère ou sœur du Fils, alors, je suis fils ou fille du Père. Cette fraternité, cette filialité me sépare-t-elle des autres ? Les autres, ceux qui ne sont pas chrétiens ne sont-ils ni fils (ni filles), ni frères (ni sœurs) ?

Je peux le croire et me draper dans ma gloire. Dieu me préfère, je suis mieux que les autres. À moi les promesses, à moi le paradis. Aux autres le néant ou l’enfer. Je peux aussi croire que ma qualité de fils (de fille), de frère (de sœur), me donne des droits sur Dieu. Pas touche à mon Dieu ! Propriété privée !

Posons-nous la question à rebours. Celui ou celle qui n’est pas chrétien est-il moins mon frère ou ma sœur que celui qui l’est ? Est-il moins aimé de Dieu celui qui n’a pas reçu le baptême ? Nous hésitons à répondre ; être chrétien, il faut bien tout de même que ça serve à quelque chose ? Non ?

Et bien non, ça ne sert à rien, au sens où ça ne me donne aucuns droits particuliers sur Dieu.

Peut-être cela me donne-t-il des devoirs alors ?

Non, et oui !

… ? Oh, c’est quoi ces complications ?

Bon d’accord, je m’explique. Je crois qu’être chrétien n’ouvre pas d’autre droit que la joie. Le droit à la joie. Pour le dire d’une façon plus religieuse, le droit à l’action de Grâce. Je sais à qui je dois ma joie. Ma joie, c’est le mouvement de l’action de Grâce (autrement dit, eucharistie), qui me tourne vers Dieu, et qui me fait le remercier des biens qu’il me donne, de l’attention qu’il m’accorde, de l’amour dont il me comble.

« Qui donc est l’homme pour que tu t’en soucies, un fils d’homme pour que tu en prennes souci ? » interroge le psalmiste. Et nous répondons, nous sommes les fils et les filles bien aimés. Tous, y compris l’ouvrière chinoise, le paysan indien qui n’ont pas entendu la parole du Christ, qui n’ont pas reçu l’Esprit qui nous fait tendre les mains et user des mots que le Fils nous donne pour nous adresser à notre Père. Nous sommes chrétiens, et voici notre joie.

Bon et la question des devoirs ? Et bien si c’est une joie d’être chrétien, c’est notre devoir de la partager avec ceux qui ne savent pas qu’ils sont aussi les fils et les filles bien aimés. Nous avons le devoir de manifester cette joie, de la rendre contagieuse. Nous avons l’impérieux devoir de les inviter au banquet de la joie. La table est mise pour eux comme pour nous et n’ayons crainte, nous ne serons privés de rien. À la table de Dieu, il y a abondance et même surabondance.

Je sais, c’est difficile à admettre. Nous voudrions bien que les chrétiens (nous) soient quand même un tout petit peu plus aimés, un tout petit peu préférés, rien qu’un peu ! Mais pour nous convaincre, il n’est qu’à lire la parabole du père prodigue. Au fils aîné, celui qui a eu le bonheur de vivre chaque instant avec son père, et qui gémit de jalousie, le père, douloureux répond : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. »

Alors, c’est quoi être chrétien ? C’est avoir la Grâce de partager déjà ici-bas le bonheur d’être fils (fille) du Père et frère (sœur) du Fils.

 

Ce que dit le Magistère de l'Eglise Catholique :

Lumen Gentium chap 13 : À faire partie du Peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés. C’est pourquoi ce peuple, demeurant uni et unique, est destiné à se dilater aux dimensions de l’univers entier et à toute la suite des siècles pour que s’accomplisse ce que s’est proposé la volonté de Dieu créant à l’origine la nature humaine dans l’unité, et décidant de rassembler enfin dans l’unité ses fils dispersés.

 

100 mots pour la foi

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31 janvier 2010 7 31 /01 /janvier /2010 15:07

« En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. » (Lc 4, 24)

 

Ils étaient heureux des paroles de Jésus. Mais les avaient-ils entendus ? Ils avaient certainement entendu la promesse de bonheur mais avaient-ils réalisés que cette promesse s’adressait d’abord aux exclus de la société, à ceux que la vie humaine avait mis de côté, à ceux qui se sentaient privés de la vie. Au lieu de nous réjouir des signes que Dieu donne à l’humanité, nous souhaitons de signes pour nous-mêmes et nous sommes incapables de voir le plus grand signe qu’il puisse nous donner, sa présence au milieu de nous. Et nous sommes incapables de nous en émerveiller.

 

« Mais lui passant au milieu d’eux, allait son chemin… » (Lc 4, 30)

 

La promesse de Dieu ne vient pas habiter chez nous pour nous raconter de belles histoires, elle vient nous mettre en mouvement. Nous, nous souhaiterions qu’elle demeure à jamais auprès de nous. Amoureux dominateurs et égoïstes, nous voulons la garder prisonnière, fous d’amour nous serions prêts à la tuer plutôt qu’elle ne nous quitte. Fous, oui, fous que nous sommes qui souhaitons avoir prise sur Dieu lui-même ! Jésus vient nous mettre en mouvement et nous rêvons de stabilité, nous rêvons d’un bonheur bien établi dans la chaleur de Dieu.

 

« Aspirez aux dons supérieurs. Et je vais encore vous montrer une voie qui les dépasse toutes. » (1 Co 12, 31)

 

Car oui, le don de Dieu est un chemin, une voie. L’accueillir, c’est accepter de renoncer à notre immobilité confortable, c’est accepter de le suivre dans un amour en mouvement dont nous ne pouvons connaître encore la stable perfection. Tout en nous est incomplet si nous n’avons pas ce mouvement de Dieu qu’est la charité, ce don qui nous fait entrer dans la relation entre Dieu et les hommes, dans cette amitié sainte avec Dieu et avec les hommes. Tout, même la foi et l’espérance !

 

« N’aie aucune crainte en leur présence car je suis avec toi pour te délivrer » (Je 1, 8)

 

Le don de Dieu est un don à donner. C’est dans la transmission de ce don que nous serons nous-mêmes délivrés, car c’est dans la transmission de ce don que nous entrerons pleinement dans l’amitié de Dieu. La charité dont Dieu nous nourrit, nous devons en nourrir l’humanité afin que nul ne soit exclu de l’amour de Dieu. L’iconographie chrétienne nous l’enseigne en représentant la charité comme une jeune femme allaitant des enfants ou un vieillard, l’humanité naissante et l’humanité vieillissante. Il n’y a pas d’âge pour accueillir la vie de Dieu. Il n’y a pas d’âge pour transmettre la vie de Dieu, cette vie dont nous ne pouvons rêver d’être les égoïstes dépositaires. La charité c’est la vie de Dieu transmise.



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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 11:54

« Le plus important dans l’art, c’est qu’on passe constamment de l’anecdote personnelle au plus collectif. On ne peut parler que de son village mais il faut faire en sorte qu’il devienne celui du spectateur. L’œuvre doit demeurer ouverte. C’est pour cela que mon travail est proche de la poésie : chacun peut terminer le poème. On ne peut parler que de ce que l’autre sait. C’est dans cette chose commune que se situe l’art. » Cette pensée sur l’art que nous livre Christian Boltanski dans son entretien avec Richard Leydier publié dans le numéro spécial d’Art press pour Monumenta 2010 est, me semble-t-il, la meilleure porte d’entrée pour découvrir cette œuvre, Personnes, conçue pour l’espace du Grand Palais à Paris.

 

Monumenta2010_Mur1.jpg

Comme toujours, l’artiste nous parle de la mémoire et de la mort. Pour être plus exact, il nous fait cheminer dans notre recherche de la mémoire et de la mort. Il nous fait entre dans le champ de la mémoire et de la mort. Et il nous y fait entrer physiquement. La première chose à laquelle nous sommes confrontés c’est un de ses murs de boites rouillées. Ces boites qui renferment la vie de gens inconnus. Ces boites qui peuvent tout à la fois être un mémorial de la vie inconnue de personnes inconnues et la mémoire bien rangée dans notre petit cerveau de personnes ou d’événements connus. La mémoire rangée, froide.

 

Monumenta2010_Camp.jpg


En le contournant, nous passons de l’autre côté du miroir, dans la mémoire vivante et nous entrons dans un c(h)amp d’un tout autre ordre. Sur l’ensemble de la largeur de cette gigantesque nef du Grand Palais s’étend une installation composée de rectangles régulièrement délimités par un système de poteaux et de filins d’aciers, éclairés en leur centre par un néon. Dans ces rectangles, des vêtements usagés sont posés à plat, se recouvrant partiellement, formant des tableaux colorés abstraits. Premier choc des villages. Le village de Boltanski et le mien ont une maison commune : les camps d’Auschwitz et de Birkenau. Birkenau pour cet ensemble régulier de baraquements où « vivaient » les prisonniers, Auschwitz pour cette muséographie de la mémoire qui a inspiré tant d’artistes contemporains, pour ses vitrines où sont accumulés les valises, les cheveux, les gamelles retrouvées à la libération du camp, ces objets de mémoire des personnes qui y ont disparues. Ce lieu où l’anecdote de la mort, de la haine et de l’impensable est devenu une mémoire universelle sur laquelle nous ne finirons jamais de penser.

 

Mais au silence glacial auquel sont confrontés les visiteurs des camps, Christian Boltanski a substitué un fond sonore composé de centaines d’enregistrements de battements de cœurs. Dans cette nef du Grand Palais, la vie est là. Un fond sonore omniprésent dans lequel vient se fondre comme un bruit de sirène étouffé, bruit tragique que mon imagination mémorielle relie tout autant aux sirènes des camps qu’à celle des bombardements. La vie dramatique mais la vie, cette vie sans la quelle la mort ne serait pas un drame. Cette vie qui pose la question de la mort, du hasard de la mort, cette vie qui espère que la mort n’est pas une fin et qui continue de faire vivre les morts dans une mémoire commémorative. Cette vie qui questionne et se collecte dans la mémoire pour demeurer. Cette vie c’est peut-être l’église du village de Christian Boltanski, c’est sûrement l’église de chacun d’entre nous.

 

Monumenta2010_lache.jpg


Le bruit de sirène entendu n’est pas le bruit d’une sirène. C’est le bruit d’une grue, placée au fond de la nef , le bruit du moteur de cette grue qui inlassablement vient saisir de son grappin un tas de vêtements, parmi une montagne impressionnante, l’élève dans les airs et le relâche. Et c’est peut-être là, finalement, que l’artiste nous convoque à terminer l’histoire. Car cette dernière installation est assurément une lecture de l’ensemble de l’œuvre. Dans le village de Christian Boltanski, elle a un sens, celui de la main d’un dieu indifférent, qui brasse la vie humaine régulièrement, du hasard qui à cette supériorité sur l’homme : la maîtrise du temps.

 

Permettez-moi, Cher Christian Boltanski, en toute humilité, de vous livrer la signification de votre œuvre dans mon village. Elle est triple.

La première renvoie à Dieu, dans son acception la plus distante et la plus proche à la fois. Dieu, le maître de la vie, Dieu qui ne cesse de créer le monde, c’est-à-dire qui ne cesse de lui donner la vie. Tel votre grue, Dieu ne cesse de brasser le monde pour qu’à jamais il vive, pour que jamais le mouvement de la vie ne s’arrête et ne le fasse s’immobiliser dans la mort.

La seconde renvoie à l’homme et à la première installation que vous nous avez présentée dans cette exposition, votre mur de boites que j’ai nommé la mémoire rangée, la mémoire froide. J’aurais pu l’appeler la mémoire morte. Votre grue, voyez-vous, c’est pour moi la mémoire vive, la mémoire qui fait vivre, celle qui ne cesse d’aller piocher dans ces boites bien rangées et scellées les souvenirs des hommes et des femmes. Celle qui par delà la mort continue de donner la vie.

La troisième, vous l’aurez compris, c’est finalement ce qui différencie les églises de nos villages. Je crois en un Dieu qui n’est pas distant des hommes. Je ne crois pas que le hasard, les catastrophes, les drames de notre humanité et de notre histoire soient Dieu. Je crois qu’ils sont la vie du monde et la vie humaine. C’est pour cela que les battements de cœur que vous nous donnez à entendre sont tout autant rassurants qu’inquiétants. Et si je vous accompagne pour voir avec vous dans cette grue qui brasse les hommes et les femmes la main de Dieu elle-même qui nous crée, c’est pour croire que quand il nous relâche de sa hauteur, c’est pour que le mouvement qu’il nous donne, vienne animer, même de manière infime, la montagne de vêtements de laquelle il nous a prélevé. De minuscules électrochocs certes, mais suffisants pour que le cœur de l’humanité ne cesse de battre et d’illuminer le monde.

 


Monumenta 2010. Jusqu’au 21 février 2010.

 

 

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