Ouh, le vilain mot, presque une insulte. Écoutez celui ou celle qui revendique sa dignité par ces mots : « je ne demande pas la charité ». Et en effet, quoi de plus condescendant, que de « faire la charité ». On frémit, le mouchoir sur le nez, on laisse tomber quelques sous en détournant le regard. Et cette présence-absence furtive se drape dans la bonne conscience. « Ma main droite n’a pas eu le temps de voir ce qu’a fait ma main gauche », et mon regard ne s’est pas arrêté sur le visage de l’autre.
Bon, heureusement, quand le mot redevient latin, il prend des couleurs et la Caritas crée les organisations caritatives, qui se penchent sur le sort de ceux qui ont besoin d’aide et d’attention. Nous faisons confiance aux organisations caritatives pour restaurer la dignité des personnes et les tourner vers l’avenir. Voilà qui est plus honorable. Cette fois, plutôt que de laisser de la menue monnaie, je fais des chèques ou des virements.
Si je pousse le mot dans ses derniers retranchements, jusqu’en grec, il devient Agapê. Et là, enfin, il s’illumine Il n’est plus question de monnaie, ni de programme d’aide, il est question de relation. L’Agapê est le lien qui nous unit les uns aux autres et qui vient de Dieu.
Je m’explique : la charité est une vertu « théologale ». Comme ses deux sœurs, Espérance et Foi, Charité (Agapê) vient de Dieu. Agapê (Charité), me tourne vers mes frères et sœurs humains parce qu’elle me rend capable de regarder l’autre dans la bienveillance même de Dieu. Ici, on pourrait retourner en français sans passer par la case latine et traduire charité par amour, mais le sens du mot est trop élargi.
Car Charité-Agapê n’a ni la fragilité, ni la volatilité des affections humaines. Elle n’est pas soumise aux variations de nos humeurs et de nos sentiments.
Charité-Agapê est une traite tirée sur le compte de Dieu. Dans Charité-Agapê, nous n’aimons pas de nos propres forces mais dans la force de l’amour de Dieu. C’est donc bien de l’amour, mais pas n’importe lequel..
C’est en ce sens que l’hymne magnifique de saint Paul, dans la première lettre aux Corinthiens, au chapitre 13 n’est pas une vision idéale mais un dévoilement :
1Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. 2Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. 3Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.
4La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; 5elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; 6elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. 7Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.
La charité, est cet élan qui me porte vers l’autre humain, mon frère ou ma sœur. Elle est un sceau que Dieu a imprimé dans le cœur de tout humain, une empreinte en creux qui nous porte vers l’autre et nous rend capable de le regarder, de l’envisager. Reste à notre liberté de laisser se déployer cette capacité. Quant à savoir jusqu’où mène cet élan quand rien ne retient son accomplissement ; Regardons le Christ, en lui s’exprime la puissance infinie de la charité divine et l’hymne de Paul est d’abord un portrait du Christ, expression parfaite de la charité.