Peuple
Voilà un mot bien malmené ! Réinventé il y a cinquante ans par le concile de Vatican II qui définit l’Église comme peuple de Dieu, il devient un élément de langage marqueur d’une génération. À ce titre, il est aujourd’hui honni par ceux qui voudraient sinon oublier le concile, du moins l’étouffer sous le lourd édredon de la «continuité ».
Pourtant, ce mot a d’abondantes lettres d’anciennetés puisque le peuple est dans le Premier Testament (cessons de le nommer ancien comme s’il n’avait plus cours !) l’entité à qui Dieu s’adresse. Dieu se constitue un peuple en s’adressant à lui, en s’unissant à lui par une alliance, en le sauvant des « méchants » : « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Le peuple est au centre, s’est à lui que s’adressent promesses et reproches, il est le signe de la présence de Dieu parmi les nations.
Jésus, né dans ce peuple, va plus loin. Le peuple a vocation à s’étendre. Les signes que nous donnent les Écritures sont limpides, Jésus choisit douze hommes, figures des douze tribus d’Israël, pour être, comme les fils de Jacob le furent, la souche de ce peuple renouvelé qui va jusqu’aux extrémités de la terre.
C’est sur ce peuple, encore embryonnaire, que souffle l’Esprit le jour de la Pentecôte.
Mais les choses n’en restent pas à ce bel élan. Lorsque le christianisme se frotte à l’empire romain, il lui emprunte son organisation hiérarchique et centralisée. Au long des siècles, petit à petit, la notion de peuple s’efface lentement, ou plus exactement, l’Église va se penser non plus comme « peuple » mais comme l’autorité qui gouverne le peuple. Les clercs qui gouvernent vont se distinguer du vulgaire, des laïcs, (du grec laos, le peuple), autrement dit, le vulgum pecus, le troupeau ordinaire.
Le Concile de Vatican II, fait un véritable retour aux origines et la tradition en ce qu’elle a de plus antique et de plus sûr et ramène tout le monde au bercail, c’est-à-dire dans le peuple. Clercs et laïcs, tous ensemble forment le peuple de Dieu, chacun étant revêtu d’une égale dignité.
Certes, on pourra objecter, comme certains Pères du Concile, que le choix du mot, tout fondé soit-il, était malheureux à une époque où la référence au peuple était le maître mot des idéologies communistes. Des esprits chagrins n’hésitèrent pas à voir une victoire du marxisme rampant dans le choix que fit le Concile de définir l’Église comme peuple,
Au dossier à charge, on peut ajouter que la réintroduction du peuple fleurait bon la complicité objective avec les aspirations démocratiques que les papes avaient fini par accepter du bout des lèvres parmi les nations, à condition qu’il soit bien clair qu’il n’en serait nullement question dans l’Église.
On serait incomplet si l’on n’observait pas que cette irruption du peuple, synonyme d’intrusion populacière, avait tout pour faire froncer le nez à ceux qui ne s’étonnaient pas qu’on les nomment « princes de l’Église ».
Et pourtant… et pourtant, l’Église est bel et bien un peuple, et n’en déplaise à tous les « princes », c’est en ce qu’elle est un peuple que l’Église reçoit les promesses divines, en ce qu’elle est un peuple qu’elle vit sous l’Esprit, en ce qu’elle est un peuple, le peuple de Dieu que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ».
CEC§ 751 : Le mot " Église " [ekklèsia, du grec ek-kalein, " appeler hors "] signifie " convocation ". Il désigne des assemblées du peuple (cf. Ac 19, 39), en général de caractère religieux. C’est le terme fréquemment utilisé dans l’Ancien Testament grec pour l’assemblée du peuple élu devant Dieu, surtout pour l’assemblée du Sinaï où Israël reçut la Loi et fut constitué par Dieu comme son peuple saint (cf. Ex 19). En s’appelant " Église ", la première communauté de ceux qui croyaient au Christ se reconnaît héritière de cette assemblée. En elle, Dieu " convoque " son Peuple de tous les confins de la terre. Le terme Kyriakè dont sont dérivés church, Kirche, signifie " celle qui appartient au Seigneur ».