Baptisés et disciples du Christ, c’est vers lui qui nous devons nous tourner. Vers lui et donc tout naturellement vers les évangiles qui témoignent de sa vie et de son enseignement à la lumière de la foi des premiers chrétiens.
Dans les évangiles, deux épisodes peuvent être nommés baptême du Christ. Le premier est bien évidemment le baptême de Jésus dans le Jourdain par Jean-Baptiste. Le second est celui que Jésus nomme lui-même son baptême : sa mort et sa résurrection. « Jésus leur dit: "Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé?" » (Mc 10, 38, voir également Lc 12, 50).
Ces deux baptêmes forment la « délimitation commune » des évangiles et délimitent ce que l’on peut appeler la vie publique de Jésus. Ils sont donc des marqueurs dans l’histoire du salut, le premier venant clôturer le temps de l’attente du Messie, le second venant tout à la fois accomplir la promesse de Salut de Dieu et ouvrir le temps de l’attente du retour du Christ et de la vie dans l’Esprit.
A cette « délimitation commune », les évangélistes ont choisis, différemment et de manière plus ou moins longue, de témoigner du temps qui précède, allant de la naissance à la prédication de Jean-Baptiste, et du temps qui suit, des premières apparitions de Jésus ressuscité à l’Ascension.
De la naissance au baptême dans le Jourdain, ce que les évangiles nous présentent c’est la « normalité » de Jésus en tant qu’il s’inscrit dans les traditions culturelles de son temps. C’est un juif qui a une famille, qui grandit dans cette famille, qui s’inscrit dans la culture religieuse des siens et qui, adulte, choisit une option religieuse particulière en se faisant baptiser par Jean-Baptiste. Un homme qui se comporte comme tous les croyants de sa communauté, qui ne se met pas à part. Un enfant puis un homme qui découvre (et continuera de découvrir) sa vocation, et qui il est, au milieu de ses frères et des ses sœurs et non en retrait d’eux.
Si les évangélistes insistent sur cette figure de Jésus pleinement homme, c’est évidemment pour attester que le fils de Dieu s’est vraiment incarné, qu’il a été un homme dans toutes les dimensions humaines (naissance, enfance, vie sociale, vie religieuse…) et que de ce fait par sa mort et sa résurrection il sauvera en la portant avec lui l’ensemble de l’humanité. Mais c’est également pour nous montrer à nous que le chemin de conversion et d’accueil de la promesse de Dieu n’est pas un chemin pour surhomme mais bien une voie que tous ceux qui veulent se mettre à l’écoute de la parole de Dieu, qui acceptent de vivre de l’amour de Dieu, peuvent emprunter. Une voie sur laquelle Dieu nous rejoint en nous donnant l’Esprit Saint lors de notre baptême comme Jésus l’a reçu, lui-même, sous la forme d’une colombe après être sorti du Jourdain. « Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. » (Mt 3, 16). Le récit des tentations de Jésus au désert qui suit le baptême de Jésus par Jean nous montre également cela. Jésus y répond au tentateur avec l’assurance que lui apporte la Parole de Dieu et la foi qu’il a en la promesse.
Cette « normalité » de Jésus va donc évidemment de paire avec la « continuité » du plan de salut de Dieu initié dans l’alliance avec le Peuple élu et annoncé dans les Ecritures. Une continuité qui s’exprime dans la réponse que Jésus fait à Jean-Baptiste quand celui-ci émet une certaine réticence à le baptiser : « Alors Jésus arrive en Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. Celui-ci l’en détournait, en disant : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi ! » Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour l’instant car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » Alors il le laisse faire. » (Mt 3, 13-15). Il nous convient d’accomplir toute justice montre bien comment ce premier baptême vient bien inscrire l’action de Jésus dans le plan divin de Salut, un plan que Jésus prend à son compte mais un plan qu’il partage avec son Père. Ce lien très fort avec l’histoire du Salut, les évangélistes le soulignent en multipliant les références scripturaires. Dans son introduction, Matthieu s’y attache particulièrement en utilisant quatre fois dans ces deux petits chapitres la formule « pour que s’accomplit l’oracle prophétique du Seigneur » (Mt 1, 22 ; 2, 15.17.23) avant de citer des passages des Ecritures. Une formule que Jésus utilise lui-même dans l’Evangile de Matthieu et qui redit combien le baptême final du Christ ne vient en rien abolir le baptême de Jean qui est fondé sur toute l’histoire du Salut qui le précède mais bien l’accomplir en lui donnant une forme nouvelle, pleine et définitive. « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir. » (Mt 5, 17).
Ainsi le baptême de Jésus par Jean-Baptiste n’établit pas une rupture entre le temps de la première alliance et l’enseignement et le témoignage qui mèneront au second baptême mais bien le socle de cet enseignement. Jésus est le Messie annoncé mais un Messie bien particulier : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. » (Mt 3, 17). Il est d’ailleurs possible que Jésus et ses premiers disciples aient commencé leur enseignement en donnant eux-mêmes le baptême de conversion de Jean-Baptiste. Deux courts extraits de l’Evangile selon Saint-Jean nous y autorisent d’autant que sa légère contradiction interne laisse penser que cet épisode a bien existé et qu’il a été « légèrement gommé » par les premiers chrétiens qui souhaitaient s’écarter des suiveurs de Jean-Baptiste, les trois autres évangiles n’y faisant eux aucune allusion. « Après cela, Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée et il y séjourna avec eux, et il baptisait. […] Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu’il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean – bien qu’à vrai dire Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples – il quitta la Judée et s’en retourna en Galilée. » (Jn 3, 22 ; 4, 1-3).
Entre le baptême de Jésus et sa Pâques, il n’est pas beaucoup question du baptême dans les évangiles. Deux versets comportent le mot exact, l’un dans Marc (10, 38), l’autre dans Luc 12,50), qui tous deux renvoient à la Passion. Nous y reviendrons car ils ont plus d’importance qu’il n’y parait. Mais arrêtons nous un instant, dans l’Evangile selon Saint Jean, à l’entretien entre Jésus et Nicodème où, si le mot n’est pas utilisé, le thème lui est central.
Jean 3, 1-8.
Or, il y avait parmi les pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des juifs. Il vient de nuit trouver Jésus et lui dit : "Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un maître : personne ne peut faire les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui." Jésus lui répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu."
Nicodème lui dit: "Comment un homme peut-il naître, étant vieux? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître?"
Jésus répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.
Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit.
Ne t'étonne pas, si je t'ai dit: Il vous faut naître de nouveau.
Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit."
Nous sommes au tout début de l’évangile, juste après le baptême de Jésus par Jean-Baptiste, l’appel des premiers disciples et les noces de Cana. Nous sommes au jour de la Pâque des juifs et Jésus vient d’annoncer sa mort et sa résurrection aux juifs dans le Temple : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2, 19). Cette phrase, même ses disciples n’ont pas dû la comprendre au moment où il l’a prononcé. « Aussi quand il fut relevé d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela et ils crurent à l’Ecriture et à la parole qu’il avait dite. » (Jn 2, 21). Nicodème, qui vient voir Jésus en cachette, est étonné par les signes que Jésus et y discerne la puissance de Dieu. Mais Jésus lui répond qu’il ne peut pas vraiment comprendre ce qu’il croit discerner, que quiconque n’a pas été baptisé, est né de nouveau d’eau et d’Esprit, ne peut voir le Royaume de Dieu. Certes l’eau est souvent utilisée par les prophètes comme symbole de l’Esprit mais je ne peux m’empêcher de penser qu’ici, placé au tout début de l’évangile dans ce qui est déjà une annonce de sa fin, Jésus rassemble le baptême de conversion de Jean qui nous tourne vers Dieu et celui dans l’Esprit que sa Passion permettra qui nous donne la vie et la vue de Dieu, qui nous fait entrer dans le Royaume. En tous les cas, Jésus exprime clairement, à Nicodème comme à chacun d’entre nous que c’est à la lumière de sa mort et de sa résurrection, à la lumière de la foi en celui que nous découvrons Fils de Dieu, venant du Père et retournant au Père, que nous pouvons comprendre son enseignement et entrer véritablement dans le mystère du Royaume.
Et c’est bien la force du baptême que de nous faire renaître, plongé avec le Christ dans la mort et avec lui récipiendaire de la vie, pour que par notre témoignage le Royaume advienne. Il est d’ailleurs très étonnant de voir cette expression de Royaume de Dieu dans l’évangile selon Saint Jean. Il utilise plus généralement la vie ou la vie éternelle. Peut-être avait-il peur ici qu’il y ait confusion entre la vie biologique donnée par la naissance de la chair (ce qui est né de la chair est chair) et la vie qui est le Royaume et le don de Dieu, cette vie éternelle qui elle naît de l’Esprit ? Une confusion que nous avons également à éviter, nous qui avons tous tendance à sacraliser de telle manière la vie biologique que nous en oublions presque le don par excellence de Dieu : la vie éternelle, la vie née de l’Esprit.
Il s’agit bien également de compréhension, ou plutôt de mauvaise compréhension, quand dans Marc et Luc, Jésus utilise le terme de baptême pour parler de sa Pâques. Dans les deux cas, il l’utilise dans la section narrative où par trois fois il annonce sa Passion avant de débuter son ministère à Jérusalem qui le mènera jusqu’à sa mort.
Dans l’évangile selon saint Marc, Jésus utilise ce terme juste après la troisième annonce de sa passion, pour répondre à la demande des fils de Zébédée qui n’ont visiblement toujours pas très bien compris quel type de royauté le Royaume de Dieu annonçait.
Mc 10, 35-45
Jacques et Jean, les fils de Zébédée, avancent vers lui et lui disent : « Maitre, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. » Il leur répondit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » - « Accorde-nous, lui dirent-ils, de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons ». Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et le baptême dont je vais être baptisé, vous en serez baptisés ; quand à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder, mais c’est pour ceux à qui cela est destiné. » Les dix autres qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. Les ayant appelés près de lui, Jésus leur dit « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui devra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. Aussi bien le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. »
La structure des trois annonces de la Passion est très intéressante car elle permet d’opérer un véritable renversement des valeurs, allant du Messie triomphant au serviteur. La première partie de l’évangile s’est achevée sur la profession de foi de Pierre : « Tu es le Christ » (Mc 8, 29). La transition avec la première annonce de la Passion se fait par une double opposition. Jésus qui vient de demander à ses disciples le silence – « Alors ils les enjoignit de ne parler de lui à personne. » (Mc 8, 30) – annonce sa Passion ouvertement – « et c’est ouvertement qu’il disait ces choses. » (Mc 8, 32). Pierre qui vient de donner « la bonne réponse », se met à morigéné Jésus visiblement sur le thème : tu es le messie, il ne peut pas t’arriver ce que tu dis. Jésus lui répond : « Passe derrière moi, Satan ! Car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (Mc 8, 33). Nous sommes face à l’incompréhension des disciples qui ne peuvent admettre que le Messie, Christ-Roi, puisse mourir et de cette manière. Le Christ a beau annoncer, avec sa mort, sa résurrection, ils ne peuvent voir que la défaite du Messie dans sa mort et non la victoire de Dieu dans la résurrection.
La deuxième annonce de la passion (Mc 9, 30) est suivie d’un questionnement des disciples sur qui est le plus grand. Jésus y répond en deux temps : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9, 35) et « Quiconque accueille un petit enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille ; et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais celui qui m’a envoyé. » (Mc 9, 37). Ce glissement est la pédagogie déployée par le Christ dans tout l’évangile. Le Messie n’est pas venu pour lui-même mais pour offrir le salut aux hommes et aux femmes et particulièrement aux plus faibles que l’enfant, incapable de se défendre seul, représente. Non seulement il est venu pour eux mais il s’identifie à eux nous invitant à participer à sa justice en répondant à l’appel de Dieu à travers l’accueil et le service de nos frères et de nos sœurs.
La troisième annonce de la passion (Mc 10, 32), enfin, est suivie par le texte que nous venons de lire, la réponse aux fils de Zébédée, qui met en valeur une royauté du service et non du pouvoir. Du « Passe derrière moi Satan » qui rappelle les tentations au désert au lendemain du baptême dans le Jourdain, au baptême de la Passion annoncée, c’est finalement tout le glissement du sens du Royaume et de la véritable figure du Messie qui se dévoile à travers ces trois annonces de la Passion. Le Royaume qui s’ouvre à nous par le baptême n’est pas une royauté triomphante mais une royauté du service où le Maître se reconnaît dans chacun de nous et dans laquelle nous sommes appelés à partager l’amour et la justice de Dieu en étant, comme le Fils de l’homme, au service de nos frères, témoins que la vie de Dieu a vaincu la mort. Par le baptême, nous quittons une relation à un Dieu absent pour entrer dans une relation où Dieu prend la figure des hommes et des femmes de notre temps. Dieu nous appelle à un amour et à une justice concrète que nous pouvons éprouver chaque jour dans le service du prochain.
Dans l’évangile selon saint Luc, l’utilisation du baptême par le Christ se trouve dans cette même section précédant son ministère à Jérusalem pour nommer sa Pâques. Mais il ne s’inscrit pas dans une logique similaire. Il n’est pas relié à une des trois annonces de la Passion mais vient juste après la préconisation de Jésus à ses disciples pour qu’ils se tiennent prêt pour le retour du Maître (Lc 12, 35-48). Il s’agit donc de l’attente du retour du Christ dans la gloire et de son appel pressent à prendre parti pour ou contre lui.
Lc 12, 49-59
« Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il fut déjà allumé ! Je dois être baptisé d’un baptême et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé ! Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre ? Non je vous le dis mais bien la division. Désormais dans une maison de cinq personnes on sera divisé, trois contre deux et deux contre trois : on sera divisé père contre fils et fils contre père, mère contre sa fille et fille contre sa mère, belle-mère contre sa bru et bru contre sa belle mère.
Il disait encore aux foules : « Lorsque vous voyez un nuage se lever au couchant, aussitôt vous dites que la pluie vient, et ainsi arrive-t-il. Et lorsque c’est le vent du midi qui souffle, vous dites qu’il va faire chaud, et c’est ce qui arrive. Hypocrites, vous savez discerner le visage de la terre et du ciel ; et ce temps-ci alors comment ne le discernez vous pas ?
Mais pourquoi ne jugez-vous pas par vous-mêmes de ce qui est juste ? Ainsi quand tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, tâche, en chemin, d’en finir avec lui de peur qu’il ne te traîne devant le juge, que le juge ne te livre à l’exécuteur et que l’exécuteur ne te jette en prison. Je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n’aies rendu jusqu’au dernier sou. »
Ce passage très vindicatif de Luc comporte beaucoup d’enseignements sur le baptême et nous remet face à des réalités que nous avons tendances à oublier tellement l’histoire du Salut est pour nous tout à la fois proche et lointaine. Proche car nous connaissons la fin de l’histoire (Jésus nous a sauvé sur la Croix), lointaine car nous finissons par penser qu’il s’agit réellement de la fin de l’histoire et par considérer donc que nous avons maintenant à vivre les conséquences de cette histoire et non son actualité toujours renouvelée jusqu’au retour du Christ en gloire. Jésus nous questionne, il nous demande de nous engager pleinement et de choisir librement avec les mêmes facultés, la même intelligence, que celles que nous mettons dans nos choix et nos analyses quotidiennes. Et son questionnement nous presse. Il nous presse de choisir la justice, de nous réconcilier avec nos frères, mais il nous presse également de nous convertir. Le feu de l’Esprit que Jésus promet et que nous avons reçu par le baptême n’est pas une grâce molle qui nous permettrait de nous lover dans un amour divin stabilisant, c’est un feu dévorant qui nous pousse à choisir, à avancer, à nous convertir. Et le choix de Dieu ne peut pas être dissocié de notre manière de vivre avec nos frères. « Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est encore dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n’y a en lui aucune occasion de chute. » (1Jn 2, 9-10).
Nous avons déjà vu, comment, durant le temps des apparitions, l’annonce du baptême est liée à l’envoi en mission des onze et de l’Eglise et à l’accueil de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte. Il inscrit le baptisé dans cette mission, n’en faisant pas un récepteur passif du Salut mais, baptisé dans le Christ, un témoin actif de ce salut, aimant Dieu dans l’annonce de la Bonne Nouvelle et le service de ses frères et de ses sœurs.
Mais là encore, il nous faut faire un détour par le quatrième évangile, celui de Jean, qui réunit en un seul moment la Pâques du Christ et le don de l’Esprit Saint. « Venus à Jésus, quand ils [les soldats] virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. » (Jn 19, 33-34). Le sacrifice de l’agneau pascal représenté par le sang est ici couplé au don de l’Esprit, fruit de ce sacrifice. Les commentateurs spirituels et particulièrement les Pères de l’Eglise ont vu dans ce double écoulement l’image de l’eucharistie (sang) et du baptême (eau). Notre baptême venant directement du sacrifice du Christ que nous célébrons dans chaque eucharistie. Ce lien entre baptême et eucharistie se retrouve également chez Marc (16, 14) et Luc (24, 40-43) où la dernière apparition du Christ durant laquelle il envoie ses apôtres en mission se déroule durant un repas. Cette lecture met bien en lumière les enseignements de l’Evangile sur l’aspect tout à la fois personnel et communautaire du baptême, mais également sur l’aspect sacrificiel de chaque baptême que Saint Paul traduira dans l’Epître au Romain : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. » (Rm 12, 1)
Pour conclure, nous pouvons suivre la logique de Luc qui nous met en face d’un parallélisme temporel qui nous éclaire sur notre condition propre de baptisés. A la suite de son premier baptême, Jésus est mené par l’Esprit quarante jours au désert pour y être tenté par le Diable (Lc 4, 1-13) avant de commencer pleinement sa mission. A la suite de son second baptême, il s’écoule quarante jours avant son Ascension, période où il apparaît aux siens pour les conforter dans la foi et les envoyer en mission. Pour les baptisés que nous sommes, c’est évidemment une grande nouvelle. Le Christ qui a vaincu la mort a pris la place du diable. Non seulement, comme nous l’avait présenté le baptême de Jésus par Jean et les tentations au désert, l’appel de Dieu n’est pas impossible à accueillir pour l’homme, mais aujourd’hui le Christ ressuscité est avec nous pour toujours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20).
Sa présence nous est donné dans l’Esprit Saint reçu au baptême, cet Esprit qui était descendu comme une colombe sur Jésus lors de son baptême dans le Jourdain, cet Esprit qu’il nous avait promis durant sa vie, cet Esprit qui pour Jean a coulé, sang et eau, de son côté lors de son deuxième baptême, cet Esprit qui a été envoyé, langues de feu, au jour de la Pentecôteet qui ne cesse de nous faire vivre.