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30 avril 2009 4 30 /04 /avril /2009 23:08

Cette série de textes sur Lourdes a été commandée aux plus grands écrivains français du XXe siècle dans le cadre d'une réflexion sur la réception contemporaine du message de la Grotte. Nous publions aujourd'hui celui de Jean-Paul S, sur la conversion.


 

 


La piscine

Pièce en une scène

 

Jean-Paul, le brancardier.

 

Une piscine de Lourdes. Une statue de la Vierge sur le mur du fond, au dessus de la piscine. Un brancard posé dans un coin. La pièce est en marbre.

 

 

Jean-Paul, il entre dans une simple chemise rayée, bleue et blanche, assez longue et regarde autour de lui. – Alors c’est cela.

 

Le brancardier. Oui. C’est cela.

 

Jean-Paul. Rien de plus…

 

Le brancardier. Rien de plus.

 

Jean-Paul. Juste cette piscine. Cette baignoire.

 

Le brancardier. Oui, rien que cela.

 

Jean-Paul. Pas de tribunal, pas de chambre d’expert. Pas d’évêques ou de prêtres, pas d’inquisiteur. Juste vous et moi.

 

Le brancardier, indiquant du doigt la statue de la Vierge. - Pardon. Juste vous, elle et Lui.

 

Jean-Paul, il regarde la statue de la Vierge au dessus de la piscine au fond de la pièce. - Ah oui, elle...  (Il se retourne.) Pourquoi parlez-vous de vous à la troisième personne.

 

Le brancardier, il lève le doigt vers le plafond. – Je parle de Lui, pas de moi. Moi je fais partie du décor. Comme l’eau, la piscine, le brancard.

 

Jean-Paul. Le décor ? (Un silence. Il regarde la pièce lentement d’un grand mouvement circulaire). Vous savez qui je suis. C’est pour cela que vous parlez de décor ! C’est parce que je suis auteur de théâtre. Vous vous êtes dit : « on va le mettre dans son élément ! »

 

Le brancardier. Non. Parce que vous êtes un homme. Tous les hommes ont besoin d’un décor pour agir. Cela n’a rien à voir avec le théâtre ou l’écriture. Le décor c’est la vie. Si vous n’étiez nulle part, si je n’étais pas là, vous auriez l’air malin. A qui parleriez-vous ?

 

Jean-Paul. Je suis un intellectuel. Je n’ai pas besoin de décor pour vivre et je vous parle par politesse. Je ne vais pas vous ignorer.

 

Le brancardier. Ah ! Moi j’étais là pour vous rendre service. Si vous n’avez pas besoin de moi, je n’insiste pas. Je vous laisse seul avec vous-même. Au revoir. (Il sort.)

 

Jean-Paul seul. Il contemple la pièce et marche une longue minute. Il va tremper ses orteils dans la piscine. Il les retire précipitamment. L’eau est gelée. Il regarde la Vierge. Elle sourit. Il se retourne puis la regarde de nouveau.

Jean-Paul. Pourquoi tu souris. Il n’y a rien de plaisant à être ici. (Silence.) Evidemment, tu souris mais tu ne parles pas. Tu te réserves pour les bergères. Moi je dois être trop intelligent pour que tu t’intéresses à moi. Je ne dois pas avoir de cœur. Pas d’âme. Un pauvre imbécile d’homme, trop ignorant pour parler avec toi. (Silence. Il s’énerve et son ton monte.) Ben vas-y. Dis-le moi. Je ne me suis jamais intéressé à toi, ni à ton Fils. Je t’ai toujours ignoré alors aujourd’hui où nous sommes seuls, face à face, tu refuses de me parler. La loi du talion. Œil pour œil, dent pour dent, silence pour silence, mépris pour mépris. Il est joli votre pardon !

 

Il reprend ses allées et venues en marmonnant. Au bout de quelques secondes, il va à la porte et essaye de l’ouvrir. Elle est fermée. Il essaye de nouveau, tambourine puis appelle.

 

Jean-Paul. Brancardier ! Brancardier !

 

La porte s’ouvre et le brancardier entre.

 

Jean-Paul. Je préfère quand vous êtes là. J’ai parlé à la Vierge mais elle ne me répond pas. Elle sourit bêtement mais refuse de me dire un mot.

 

Le brancardier. C’est une statue. Les statues ne parlent pas. Mais si vous voulez, on peut vous la changer pour qu’elle ne sourie plus. (Il va au brancard et revient avec un catalogue rempli de photographies de la Vierge qu’il tend à Jean-Paul.) Choisissez. Vierge au manteau, vierge au sein, vierge de douleur… Portugal du XXe, France du XIIIe, Russie du XVIIIe, Italie de la Renaissance… Il ne faut pas que vous soyez gêné par l’image. Nous avons tous les modèles. Celle-ci est le modèle de base, une copie de la statue du sculpteur lyonnais Joseph Fabiech.

 

Jean-Paul, il jette le catalogue dans un coin de la pièce puis se tourne vers le brancardier. – Et bien. Que dois-je faire ?

 

Le brancardier. Ce que vous voulez. Normalement, les gens entrent dans la piscine vont jusqu’à la Vierge, l’embrassent, et reviennent.

 

Jean-Paul. En somme, je suis là pour faire un aller-retour dans de l’eau glacée et embrasser une statue qui me sourit.

 

Le brancardier. En somme, oui. Cela s’appelle une conversion. Comme au ski.

 

Jean-Paul. Et si je n’en ai pas envie. Si je ne crois pas à la Vierge, pas à son Fils…

 

Le brancardier. Vous pouvez restez au bord de la piscine et attendre. On peut parler. Je suis là pour cela aussi. On a tout notre temps. On a l’éternité.

 

Jean-Paul. Et je ne pourrai jamais sortir ? C’est l’enfer votre pièce !

 

Le brancardier, il hausse les yeux au ciel. – Ah non, l’enfer c’est les autres. Ici c’est le purgatoire. Vous me direz, si on reste devant cette piscine tous les deux pour l’éternité, cela ressemblera un peu à l’enfer, en plus froid et plus humide.

 

Jean-Paul, il contemple l’eau, puis la Vierge, puis l’eau, puis le brancardier. – Bon, alors, finissons en !

 

Il descend dans l’eau et marche vers la Vierge. Plus il marche plus la Vierge s’éloigne. Il se retourne pour parler au brancardier, s’effraie et se met à courir vers la Vierge qui s’éloigne toujours.

 

Le brancardier. Pourquoi courrez-vous ?

 

Jean-Paul. Il y a un homard qui me poursuit avec ses grosses pinces.

 

Le brancardier, il hausse les épaules. -  Non cela c’est un cauchemar. (Silence.) Vous savez, si vous n’y croyez pas, vous n’arriverez jamais jusqu’à la Vierge. Vous êtes ici pour vous convertir pas pour faire de la gymnastique aquatique.

 

Jean-Paul, il s’est arrêté au milieu de la piscine. Il se retourne, regarde le brancardier au bord de l’eau puis la Vierge de l’autre côté. Et si je ne peux pas me convertir ?

 

Le brancardier. Alors revenez ici. Ce serait bête d’attraper la crève pour l’éternité. Je suis brancardier, pas médecin. Et je ne fais pas de miracles !

 

 

Rideau.

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