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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 22:39
Claude-Guy HALLE

(1652-1736)

Tobie rendant la vue à son père, 1710-1720.

Huile sur toile H. 75 x L. 94. cm

Bibliographie : Nicole Willk-Brocard, La Dynastie des Hallé, Paris, 1995. C65, tableau répertorié dans les œuvres non datées, p. 296.

 

 

CLAUDE Halle

                   Courtesy Galerie MENDES.

 


C’est à peine si l’on connaît quatre ou cinq  tableaux de chevalet de Claude-Guy Hallé. L’exposition du Tobie rendant la vue à son père lors de l’édition 2009 du Salon du collectionneur (1) fut un événement en raison de la faible quantité d’œuvres identifiées de la main du peintre : une trentaine, seulement, sur les 87 tableaux répertoriés au moment de la parution du catalogue raisonné de l’artiste, publié en 1995 par Nicole Willk-Brocard.

.

Cette spécialiste reconnaît dans le tableau d’histoire biblique probablement celui qui fut inventorié dans la vente après décès de Noël Hallé le 2 juillet 1781 (2) . La description du catalogue de vente nous renseigne sur les dimensions originales de l’œuvre, légèrement inférieures aux dimensions actuelles (3).

 

Claude-Guy Hallé traita par trois fois l’histoire de Tobie (4). L’épisode de Tobie rendant la vue à son père est relaté dans le « Livre de Tobie » ou Tobit (5). De retour à Ninive, le jeune Tobie accompagné de l’archange Raphaël se presse au chevet de son père frappé de cécité après avoir reçu de la fiente d’oiseau dans les yeux. Les deux voyageurs ont ramené de leur expédition vers Ecbatane un filtre composé du fiel, du foie et du cœur d’un poisson géant qui les avait attaqués sur les bords du Tibre. Appliqué sur ses yeux, Tobie recouvre aussitôt la vue. Hallé a représenté le vieillard sur le point de se relever, la canne et le bandeau abandonnés sur le sol ne lui étant plus d’aucune utilité.

 

Sa mission accomplie, l’Ange, qui jusqu’alors s’était fait passer pour un homme, révèle sa vraie nature puis s’envole. A peine entrée dans la pièce, des ailes lui ont poussé. Ni la servante, ni Tobie et son père ne sont encore aperçus de la métamorphose. Même le petit chien, fidèle compagnon de route de nos deux voyageurs, reste captivé par la guérison du maître de maison (6).

 

Le rétablissement du père de Tobie a été interprété dans un sens symbolique, explique Louis Réau : «  Le jeune Tobie, préfigure du Christ, rend la vue à son père comme le Christ apporte la lumière au peuple de Dieu devenu aveugle » (7). Suivant cette interprétation, la lumière rosée, dans le fond, qui rase le mur de pierre avant de tomber sur les visages des protagonistes, serait une allusion discrète à l’action divine dans cette guérison (8).

 

Ce tableau d’histoire qui s’ajoute au corpus des peintures de chevalet de Claude-Guy Hallé fait honneur aux propos de Charles Lebrun au sujet de son protégé à l’Académie avec qui « il étoit en forte liason […et] qui faisoit beaucoup de cas de son habilitéé ». On y retrouve, en effet, les « dispositions heureuses », et « les têtes gracieuses » qui caractérisent ses œuvres religieuses, dès 1690 (9). Dépourvu du caractère italianisant de L’Adoration des mages de 1701 (10) (FIG.1), Tobie rendant la vue à son père brille par son élégante sobriété, marque des œuvres de la maturité, vers 1710-1720 (11). Arrivé au stade le plus personnel de sa peinture, Claude-Guy Hallé apporte le plus grand soin à l’équilibre des parties, à l’harmonie des couleurs et à la clarté de la composition.

 

Optant pour un point de vue da sotto in su qu’il utilisait fréquemment, Hallé a réuni les figures centrales à l’intérieur d’une pyramide, selon un schéma déjà utilisé dans La Présentation au Temple peinte, avant 1710, pour le collège des jésuites à Paris (12). On retrouve aussi cette « forte diagonale coupée d’un puissant axe vertical » (13) matérialisé dans « Le Tobie » par la ligne d’angle de la pièce parallèle à l’embrasure de la porte.

 

Dans les œuvres de la maturité, l’architecture revêt une grande importance. Malgré l’omniprésence de la pierre, l’horizon n’est jamais totalement fermé. Une porte, une arche, une fenêtre ou un oculus porte le regard vers l’extérieur où se découpe, dans le ciel, les silhouettes de monuments antiques. Cette disposition se retrouve à l’identique dans le Saint Paul à Lystres du musée Carnavalet (14) (FIG.2).

 

Le goût du détail incite Hallé à décrire les blocs de pierre un à un et à soigner leurs jointures, toujours apparentes. Le peintre les utilise pour composer le dallage au sol dont les lignes convergent toutes symboliquement vers le visage du père de Tobie, sur le point de recouvrer la vue. Bel exemple où la forme et le fond se rejoignent harmonieusement, comme l’avait remarqué Dézallier d’Argenville qui considérait Claude-Guy Hallé « comme un des meilleurs compositeurs de son temps » (15).

 

Dans sa monographie sur le peintre, Nicole Willk-Brocard regrette que trop peu d’œuvres connues permettent de juger du coloris de ses tableaux. La redécouverte de Tobie rendant la vue à son père rend compte du chemin parcouru depuis la peinture de l’abbatiale de Saint Riquier (16) (1690), « le premier ouvrage qui permette de connaître (le) coloris un peu sombre et froid, mais harmonieux » (17) de Claude-Guy Hallé. Ici, pas de couleur forte comme le bleu lapis du manteau du Christ de Saint Riquier, mais des nuances subtiles de rose-orangé, de brun-roux, de parme, de vert tilleul et de gris saumoné qui témoignent d’une évolution sensible de la couleur vers une plus grande clarté, en dehors de ses scènes nocturnes.

 

Le jeu des rehauts de blanc sur les visages ou les drapés peints en camaïeu est mis en valeur par une distribution harmonieuse de la lumière qui unifie toutes les parties du tableau et communique à l’ensemble de douces vibrations. Celles-ci se propagent dans les plis amples et creusés des tentures et des vêtements qui jouent ainsi leur rôle ornemental avec de beaux effets de manches, par exemple.

 

Claude-Guy Hallé rejoint en cela les préoccupations décoratives des ses contemporains, les frères Bon et Louis II de Boullogne (18) (FIG.3 & 4) ou encore Charles de la Fosse qui sont, comme lui, les héritiers du « grand style », dicté par Le Brun après 1660.

 

Un demi siècle plus tard, affranchi de la leçon de son protecteur, Claude-Guy Hallé parvient entre 1710 et 1720 à une maîtrise complète de son art. Tobie rendant la vue à son père. illustre brillamment cette conquête d’un style personnel qui « allie avec aisance la force et l’élégance » (19).

 

Bertrand Dumas




Halle mage  Halle SaintPaul 
Figure 1                                                          Figure 2
BON Bollogne  COYPEL
Figure 3                                                                                         Figure 4

(1) Tableau présenté sur le stand de la galerie Mendes (Paris), du 11 au 20 septembre 2009, Grand-Palais, Paris.

(2) Nicole Willk-Brocard, La Dynastie des Hallé, Paris, 1995. C65, tableau répertorié dans les œuvres non datées, p. 296.

(3) Vente Noël Hallé, Paris, 2 juillet 1781, n° 17 : « H. 27 pouces ; L. 33 pouces » ( H. 0,73 ; L. 0,90). Le tableau a été agrandi d’une bande de 2cm environ de chaque côté lors d’un rentoilage ancien.

(4) Pour les œuvres sur le même thème se reporter à Willk-Brocard, C66, p. 296 et C138, cité p. 296 et répertorié dans les « Dessins non datés », pp. 319-320.

(5) Livre de Tobie, chap. XI, 7-17. Le livre fait partie des deutérocanoniques de l’Ancien Testament.

(6) Remarquez les repentirs très apparents de la queue et de la patte avant droite.

(7) Louis Réau, Iconographie de l’art Chrétien, Paris, 1956, éd. 1979, t. II (Ancien Testament), vol. I, p. 320.

(8) Les Haruspices étrusques et les Romains pratiquaient une médecine ancestrale nommée hépatothérapie. Ils inspectaient le foie des animaux et des poissons pour en tirer des remèdes. Louis Réau souligne que la guérison de Tobie est l’un des cas les plus anciens d’hépatothérapie (op. cit., p. 320).

(9) Abrégé de la vie des plus fameux peintres […], Paris, éd. 1762, t. IV, p. 255.

(10) L’Adoration des mages, H. 1,68 ; L. 1,16, signée et datée sur le socle, Hallé I.F. 1701, Orléans, musée des Beaux-Arts, inv. 492. Willk-Brocard, C18, p. 273, repr. couleur p. 93

(11) La datation du tableau a été confirmée par Nicole Willk-Brocard qui le considère « typique des œuvres de la maturité », vers 1710-1720.

(12) Tableau disparu mais connu par la gravure de Claude Duflos (1665-1727) et par l’esquisse peinte réalisée vers 1700-1710. Willk-Brocard, C31 et C31a, pp. 278, 280.

(13) Willk-Brocard, p. 89.

(14) Saint Paul à Lystres, H. 0,90 ; L. 0,72, Paris, musée Carnavalet, inv. P.2201. Willk-Brocard, C57b,         p. 293, repr. p. 83.

(15) Ibid., p. 253.

(16) Jésus remet les clefs du Paradis à saint Pierre, H. 1,540 ; L. 1,070, signé en bas à droite : hallé IF 1690. Willk-Brocard C10, p. 270, repr. en couleur p. 95.

(18) Nous rapprochons le tableau de Hallé d’une composition antérieure et de même sujet peinte par Bon Boullogne vers 1705 et conservée au Musée des Beaux-Arts de Lille, inv. P.1876 (H. 0,610 ; L. 0,775). Les attitudes et les gestes de Tobie et de son père apparaissent suffisamment proches pour évoquer une influence. Les deux artistes ont travaillé pour les mêmes décorations à plusieurs reprises dans leur carrière. Sous la direction de Le Brun, ils ont collaboré aux bordures des tapisseries tissées aux Gobelins vers 1680. Ils ont exposé au Salon de 1699. Ils ont fait partie des artistes qui décorèrent les appartements de la Ménagerie de Versailles offerte à la toute jeune duchesse de Bourgogne sur le thème de l’enfance. Parmi eux, Claude-Guy Hallé exécuta deux tableaux en 1702 (C19 et C20).

(19) Willk-Brocard, p. 90.

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commentaires

M
<br /> <br /> Cher Bérulle,<br /> Voilà, sans nul doute qui va accroître notre érudition, un grand merci donc à Bertrand Dumas et à vous, son médiateur. On aurait aimé une petite présentation de l'auteur et peut-être un renvoi à<br /> son ouvrage "
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B
<br /> Chère amie, vous avez parfaitement raison et cet oubli est maintenant réparé !<br /> <br /> <br />

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