Dans ce malheureux mot, ce qui fait toute la différence, finalement, c’est le « e » qui transforme le qualificatif en substantif. On veut bien avoir un comportement moral, mais, surtout, qu’on ne vienne pas nous faire la morale. Parce que la morale… Rien que d’entendre le mot, les plus paisibles s’endorment d’ennui, les autres tirent à vue. Moralo, moraline, tout cela sent la petitesse hypocrite et la naphtaline.
Il est vrai que le mot hérite de son origine latine un pesant soupçon de juridisme romain et une subtilité de légionnaire, alors, que sa jumelle grecque, l’élégante éthique aurait des légèretés de nymphe.
Mais la pauvre morale, peut encore aggraver son cas et devenir « de la morale de curé », laquelle prend des couleurs de tartufferie quand la morale des instituteurs fleure bon l’honneur, les vertus viriles et républicaines.
Alors, comment sauver la morale ? Certainement pas par son étymologie qui la rapporte aux mœurs, aux bonnes mœurs, c’est-à-dire, finalement aux usages du temps.
Ainsi, voilà un siècle, il était impératif que les filles se marient vierges et était admis que les maris trompent leurs femmes. Aujourd’hui, le cours de la virginité est en chute libre et l’adultère une cause quasi obligée de rupture. Autres temps, autres mœurs. Quel rapport avec la morale ? Aucun.
J’en reviens à mon premier propos, j’oublie le substantif et revient au qualificatif dans l’espoir de redonner au mot quelque qualité. Qu’est-ce qu’une action morale, qu’une vie morale ? Enfin, vient le mot utile : le bien. Est moral ce « qui cherche ce qui est bien », « qui est en vue du bien ». Le qualificatif a l’avantage de donner du dynamisme et de l’élan à l’affaire.
Alors est-ce que l’Évangile est moral ? Oui, au sens ou Jésus entraîne ceux qui le suivent et qui l’écoutent à chercher ce qui est bien. Le récit le plus exemplaire est sans doute celui du bon Samaritain que Jésus raconte en réponse à la question « qui est mon prochain ». Pour répondre, nulle règle écrite, mais une situation, devant laquelle il faut prendre une décision.
Telle est la rigueur terrible de l’enseignement évangélique. Chaque homme, chaque femme est mis devant ses responsabilités. Point de réponse préfabriquée, pas de fiche pré-écrite. Le bien se cherche et appelle à d’autres biens. Il n’est qu’à lire le Discours sur la montagne. Quand j’aurai tendu l’autre joue et donné mon manteau il ne me « restera plus » qu’à « être parfait comme votre Père des cieux est parfait ».
La morale évangélique n’est ni celle de la norme ni celle de la règle. Elle est celle du toujours plus. Saint Paul l’a bien compris :
Hymne à la charité, Première lettre aux Corinthiens, 13, 1-7
Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.
La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.
Hymne à la charité, Première lettre aux Corinthiens, 13, 1-7