Une de mes amies vit un moment difficile. Sa mère est plongée dans un coma artificiel dont elle ne ressortira a priori plus. Le choc de l’accident brutal et l’attente d’une fin visiblement inéluctable se mêlent. Un temps ou la mort et la vie cohabitent. "Elle respire."
Nous sommes tous démunis dans un moment pareil, nous multiplions les marques d’affection, nous prions pour ta maman, nous prions pour son mari, ses enfants et ses petits enfants, pour les hommes et les femmes de l’hôpital qui les entourent, leur apportant un soutien réconfortant tout en accueillant eux-mêmes cette mort à venir. Pour avoir fréquenté le corps hospitalier en aumônerie d’hôpital, je sais combien on ne se blinde jamais totalement face à la mort.
On ne sait que dire, on ne sait qu’écrire, toute parole semblant vaine et inappropriée face à la tragédie vécue. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de dire mon émerveillement. Ce que j’entends de nos échanges, c’est la vie qui se manifeste. Pas la vie biologique, ni celle stabilisée de la femme qui respire, ni celles de ceux qui autour d’elle l’accompagnent, non la vraie vie que nous avons tant de mal à déceler quand tout va bien, la vie éternelle qui irrigue, dynamise, donne sens à ce que nous croyons être la vie.
Dans cette toile de fond que la mort obscurcit et voile de douleur, une lumière vive éclaire cette scène tragique et terriblement naturelle. Je vois un tableau de Caravage. Une lumière crue vient éclairer les personnages faisant ressortir leur nature humaine sans l’idéaliser. Les classiques ont beaucoup critiqué l’art du Caravage, lui reprochant de peindre des scènes dénués de sentiment héroïque. Finalement, pour eux, il ne faisait pas de l’art, il dépeignait la nature. Et pourtant, n’était-il pas au plus prêt de l’héroïsme chrétien ? L’héroïsme chrétien n’a pas de velléités héroïques au sens tragique du terme. L’héroïsme chrétien est un abandon dans lequel la puissance de la vie de Dieu peut surgir. Le tableau de l’héroïsme chrétien, c’est le Christ sur la Croix accueillant le péché du monde et laissant s’écouler de se son côté ouvert la vie.
Du corps de ta mère, Mathilde, où la vie s’achemine paisiblement vers la mort, la Vie surgit. Cette vie de Dieu, tendresse, amour et communion, cette vie si paisible que l’on n’y prend pas garde et pourtant cette vie qui anime le monde. Cette vie qui réconcilie, qui ravive l’amour, qui crée des liens nouveaux, est une lumière dans laquelle apparaît nettement le visage du Ressuscité. Nos vies, les gestes auxquels nous sommes attachés, la mémoire des jours et des moments, nos joies, nos peines, nos rancœurs, nos espoirs et nos déceptions sont transfigurées par cette vie de Dieu, par le Ressuscité en qui la mort se dissout pour laisser place à la dynamique aimante de Dieu. Elles sont transfigurées à l’image du Jésus que les disciples reconnaissent au lendemain de sa Résurrection quand il se présente à eux avec tout le poids des moments et des émotions qu’ils ont vécu ensemble.
On se demande ce que l’on pourrait dire pour vous consoler, pour vous donner espoir, pour donner sens et on se rend compte que c’est nous qui recevons un témoignage remarquable de l’amour de Dieu. Bien évidemment ma prière t’accompagne, vous accompagne tous. Mais cette prière est nourrie par l’Evangile qui se manifeste au milieu de vous et dont tu témoignes avec la faiblesse et la force de l’abandon dans la foi.